Autour de l’irresponsabilité pénale
Une affaire judiciaire a suscité beaucoup d’émoi en interrogeant les critères de l’irresponsabilité pénale dans les cas de pathologie mentale. La réflexion sur ce sujet a été initiée par l’ancienne Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, qui avait installé une mission pour étudier l’opportunité d’une éventuelle réforme. De nombreuses auditions ont été menées sur ce sujet, notamment par les parlementaires et le ministère de la Justice qui a déposé un projet de loi en juillet 2021 et qui doit être examiné en procédure accélérée par les assemblées législatives à la rentrée de septembre. La Fédération française de psychiatrie présente sur son site dans la présente rubrique des documents pour éclairer méthodiquement le débat en espérant qu’il ne soit pas précipité, ce qui ne semble pas le cas puisque l’exécutif a opté pour une procédure législative accélérée. Le décret du 25 avril 2022 envisage (cf. dernière phrase de la notice) la pénalisation d’une personne ayant commis une infraction mais ayant arrêté son traitement, malgré l’avis du CE de juillet 2021, et bien que cette possibilité ait été envisagée et redoutée dans l’article sur la « Légifémotion ». Une réaction collective réunissant la signature de 25 organisations le 29 avril 2022 ne s’est pas faite attendre demandant le retrait de la phrase litigieuse en fin de notice du décret. Il faut souligner cette réaction rapide et unanime. Une lettre explicative signée conjointement des ministres de la Justice et de la Santé précise que l’arrêt d’un traitement psychotrope n’est pas un motif de remise en cause de l’irresponsabilité pénale. Le ministre de la Justice a été reconduit dans sa fonction. La notice du décret n’a pas été modifiée et une circulaire signée du directeur des affaires criminelles et des grâces précise la loi. Vous pouvez retrouver tous ces documents dans cette page consacrée à l’irresponsabilité pénale.
Circulaire CRIM-2022-13/H2-12.05.2022. Présentation des dispositions de la loi n°2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure portent sur l'irresponsabilité pénale
1. Dès l'introduction, il est précisé que les dispositions de la loi ne s'appliqueront qu'exceptionnellement (p.3) : "A titre liminaire, il convient de souligner que ces nouvelles dispositions n’auront sans doute vocation à s’appliquer que de façon exceptionnelle, voire rarissime1. En effet, le plus fréquemment, lorsque l’auteur d’une infraction a préalablement consommé des substances psychoactives, cette consommation a provoqué chez lui une altération, plus ou moins importante, de son discernement, mais elle n’a pas entraîné l’abolition de celui-ci et la perte totale de son libre arbitre."
2. A propos de l'article 1 de la loi, dont les dispositions fantasmatiques ont été longuement argumentées dans l'article "Légifémotion" que l'on peut retrouver dans cette page, la circulaire confirme cette interprétation qui a longuement mobilisé le législateur pour "rien" (p.4) : "Ces dispositions ne peuvent en pratique s’appliquer que dans des cas rarissimes : d’une part, la personne qui consomme des produits toxiques dans le dessein de commettre une infraction ou d'en faciliter la commission souhaite évidemment conserver une part suffisante de son libre-arbitre pour commettre effectivement l’acte projeté ; d’autre part, si elle a consommé de façon excessive ces produits au point d’en perdre la raison, elle ne sera le plus souvent plus en état de commettre cet acte."
3. L'arrêt de traitement est évoqué en précisant qu'il ne serait pas concerné (p.6) : Du fait qu’une personne déjà atteinte d’une pathologie mentale et suivant à ce titre un traitement médical, a interrompu ce traitement, puisqu’il ne saurait alors être question d’une intoxication volontaire qui suppose un acte positif comme cela a été expressément rappelé devant l’Assemblée nationale. Il en est de même si ce traitement faisait suite à une injonction ou à une obligation de soins prononcée par l’autorité judiciaire. Toute difficulté dans le suivi du traitement d’une personne atteinte d’un tel trouble, difficulté qui résulte du reste le plus souvent de l’existence même de ce trouble, ne peut en effet conduire à la pénalisation des actes accomplis à l’occasion de la survenance d’une crise chez la personne malade."
4. L'arrêt du traitement est à nouveau évoqué au § 2.1.1, ce qui montre que le "ver est dans le fruit" : "L’article 706-139-1 du code de procédure pénale prévoit que lorsque le juge d'instruction est saisi d'une information judiciaire sur le fondement des nouveaux articles 221-5-6, 222-18-4 ou 222-26-2 du code pénal et décide du renvoi de la personne mise en examen devant la juridiction de jugement du chef de ces incriminations, il est tenu, dans son ordonnance de règlement, de préalablement déclarer, en application du premier alinéa de l'article 122-1 du même code, que l’intéressée est pénalement irresponsable des faits commis à la suite de sa consommation volontaire de substances psychoactives."
5. On remarquera la complexité de la procédure pénale relative à la consommation de substances psychoactives ayant conduit à une habitation du discernement et notamment à la difficulté de la tâche qui attend les experts (note de bas de page 9) : "L’article D. 47-37-1 envisage expressément l’hypothèse de la requalification en cours de procédure : en pratique en effet, l’hypothèse la plus probable est qu’une information sera ouverte sur le fondement des incriminations criminelles reprochées à la personne qui avait consommé des substances psychoactives, avant que des expertises ne viennent établir que son discernement était aboli au moment des faits, mais qu’une des nouvelles infractions d’intoxication volontaire pourrait alors lui être reprochée. Il en résulte du reste qu’en cas de consommation de telles substances, les experts devront être interrogés non seulement sur l’état de discernement de la personne au moment des faits, mais également sur la possibilité d’une éventuelle requalification sous l’une des nouvelles qualifications."