2023

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Editorial Février 2023

Faut-il abolir les soins sans consentement en psychiatrie ?

La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu deux arrêts le 26 janvier 2023 que vous pouvez retrouver à la rubrique « Soins sans consentement, isolement et contention » de ce site, transmettant ainsi deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à l’isolement et à la contention. La complexité de ce sujet échappe au sens commun et ne peut être appréhendée, sur le plan théorique que par de rares spécialistes.

De quoi s’agit-il dans ces deux arrêts ? La règlementation ne prévoit pas :
–       L’obligation pour le directeur ou le médecin d’informer le patient, dès le début d’une mesure d’isolement ou de contention, de la voie de recours qui lui est offerte pour contester la décision ;
–       L’intervention systématique d’un avocat à côté du patient lors du contrôle des mesures d’isolement et de contention.
Ces omissions ne respectent pas certains principes essentiels constitutionnels (à lire dans les arrêts) et ne permettent pas un procès équitable. L’argumentation est très juridique et une personne peu au fait de la psychiatrie ne percevra pas qu’il s’agit de « décisions » (et non plus de prescriptions) pour des personnes hospitalisées parce qu’elles sont malades : le tribunal et ses procédures plutôt que l’hôpital et les soins.

En revanche sur le terrain, que ce soit pour les patients, les soignants ou les administratifs hospitaliers, les modifications incessantes ne facilitent pas les soins et elles ne semblent pas avoir fait diminuer drastiquement les mesures d’isolement ou de contention. La maladie mentale grave résiste à l’idéal juridique. Évidemment, quelques psychiatres surdoués affirment pouvoir se passer de ces mesures. Malheureusement, les psychiatres désertent de plus en plus l’hôpital et forcément aussi les plus doués d’entre eux…

La rubrique détaillée de ce site sur les soins sans consentement, l’isolement et la contention permet d’éviter un long éditorial ; le lecteur pourra se référer aux documents publiés et y consacrer de longues heures de lecture pour cette fin d’hiver.

Aussi, il convient de se poser une question : faut-il abolir tout bonnement les soins sans consentement ? D’ailleurs le titre d’un un article publié dans Dalloz actualité, tout en ambiguïté, le suggère : « Isolement et contention en soins psychiatriques sans consentement : vers une troisième abrogation ? » (www.dalloz-actualité-fr.bibelec.univ-lyon2.fr).

Abolir les soins sans consentement en psychiatrie permettrait de sortir de l’ambiguïté et de l’hypocrisie relatives à des modalités de soins qui semblent désuètes et de plus en plus rejetées (au moins juridiquement). En effet, le Conseil constitutionnel en demandant à deux reprises une modification de la règlementation sur l’isolement et la contention et ne citant pas le droit fondamental à la protection de la santé a d’ores et déjà sorti la psychiatrie du code de la santé publique. Jamais le Conseil constitutionnel n’a mis en avant le principe constitutionnel de protection de la santé, qui est pourtant le premier article du code de la santé publique (cf. encadré ci-dessous), et qui est un principe de valeur constitutionnelle à égalité avec celui de la liberté d’aller et venir le seul retenu par le Conseil constitutionnel. Pourtant, lors la crise Covid, la restriction de la liberté d’aller et venir avant été justifiée par la protection de la santé individuelle et collective. Pourquoi n’en est-il pas de même pour la psychiatrie ? est-ce une méconnaissance profonde de la psychiatrie ? une peur et un déni de la maladie mentale grave ? est-ce la force de conviction de mouvements antipsychiatriques ? est-ce une soumission à un droit européen également méconnaissant de la psychiatrie ?

Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels et les établissements de santé, les organismes d’assurance maladie ou tous autres organismes ou dispositifs participant à la prévention, aux soins ou à la coordination des soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les collectivités territoriales et leurs groupements, dans le champ de leurs compétences respectives fixées par la loi, et avec les usagers, à développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible.
Article L1110-1 du Code de la santé publique

Peu importe finalement toutes ces raisons ou bien d’autres encore. Abolissons les soins sans consentement, ce qui rendra impossibles isolement et contention. Il ne s’agira que de laisser se suicider les personnes déprimées, ce ne sera pas du suicide assisté mais de l’assistance passive au suicide. Que chacun décide de sa vie ou de sa mort comme il l’entend, c’est de l’empowerment… Et pour toutes les personnes dont les troubles délirants perturberont l’ordre public, la prison sera la destination toute trouvée, d’ailleurs bien moins onéreuse que l’hospitalisation. Il s’agit donc de convenir que l’hospitalisation en psychiatrie se déroule uniquement avec le consentement comme dans le reste de la médecine et de mettre en place un système de défense sociale hors du registre sanitaire.

Finie donc la solidarité républicaine pour les personnes malades : laissons-les mourir ou emprisonnons-les. Mais cette conclusion provocatrice, dont j’espère qu’elle ne sera pas prise au premier degré, est bien inutile, car ces questions, qui reposent sur des principes constitutionnels, intéressent bien moins que la guerre en Europe, la réforme des retraites ou le pouvoir d’achat.

Réduire l’isolement et la contention est-ce finalement si compliqué ? Comme la Fédération française de psychiatrie est toujours à la pointe de l’innovation, elle a interrogé Chat GPT. À la question : Comment éviter l’isolement et la contention en psychiatrie ? Le chatbot a immédiatement répondu, avec brio : « Pour éviter l’isolement et la contention en psychiatrie, il est important de mettre en place des approches de soins axées sur les droits et la dignité des patients, de promouvoir une participation active des patients aux décisions concernant leur traitement, et de fournir des alternatives à la contention physique. Cela peut inclure la mise en place de programmes de thérapie de groupe et individuelle, l’encouragement à la participation à des activités récréatives et à des projets de travail, et la formation des professionnels de la santé mentale pour qu’ils adoptent des techniques de communication non violentes. Il est également important de surveiller de près les patients et de réagir rapidement en cas de comportements agressifs, afin d’utiliser la contention physique uniquement en dernier recours et dans le respect des normes éthiques. ».

Simple, basique, comme le chante OrelSan ! Il suffisait d’y penser !

Faisons un rêve : si par un coup de baguette magique, les soignants se trouvaient en nombre suffisant (quel que soit le milieu : hospitalier, extrahospitalier, libéral), formés au mieux, exerçant dans des locaux accueillants et adaptés, disposant d’une palette diversifiée de modalités thérapeutiques, donnant des rendez-vous dans des délais raisonnables, assurant des suivis réguliers et attentifs, pourrait-on se passer des soins sans consentement, de l’isolement, de la contention, des traitements médicamenteux « poly moléculaires » surdosés, de l’inflation procédurale, etc. ? Après toutes ces années de paupérisation de la psychiatrie qui infléchissent la façon de penser ou plutôt de ne plus penser le soin par les soignants, pris dans la tourmente sécuritaire de la société, même si la baguette magique faisait son effet, il faudrait compter sur l’empreinte du temps pour que la qualité des soins en psychiatrie pour les pathologies les plus graves soit obtenue, alors que c’est tellement plus gratifiant pour les patients et les soignants de pouvoir donner des soins avec consentement, sans contrainte.

Mais il faudra encore plus de temps pour que les pouvoirs publics prennent les mesures adaptées. Et comme la situation n’en finit pas d’être grave , je propose le signal suivant qui risque de rester au rouge bien longtemps :

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Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux
Président sortant de la Fédération française de psychiatrie

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Editorial Janvier 2023

De l’éternel retour d’un refoulé, la guerre…

L’invasion russe en Ukraine semble en voie de déstabiliser profondément nos conforts et certitudes, et de remettre radicalement en cause nombre de nos pratiques. Les européens de l’Ouest que nous sommes pensaient bien en avoir fini pour longtemps chez eux de la destruction devenue insidieusement inimaginable des corps, des esprits et des choses, telle qu’elle réapparait pourtant depuis quelques mois sur les écrans et dans les commentaires.
Lorsque la vice-présidente de l’association des psychiatres ukrainiens, le Dr Irina Pinchuk, a invité la FFP à participer à une table ronde sur le thème des possibilités et modalités de reconstruction de leur système de santé psychiatrique largement détruit, nous avons bien évidemment répondu présents, et avons pu participer à cet évènement organisé à Varsovie, la Pologne étant particulièrement concernée par l’accueil de réfugiés ukrainiens (plus d’1.2 millions de personnes !) et par le danger de la proximité avec le grand frère russe…De nombreux autres pays européens ont pu contribuer, notamment les voisins proches de l’Europe de l’Est et du Nord, mais aussi l’Australie et la Nouvelle Zélande, les USA, Israël, le Japon.
Le Dr Irina Pinchuk a pu faire un bref mais terrible bilan des dégâts causés par cette agression sur le dispositif de soins psychiatriques : pas moins de neuf hôpitaux détruits, dont six de façon irréparable, des milliers de patients déplacés vers l’Ouest du pays, une vingtaine de morts parmi le personnel soignant, de très nombreux blessés, une grave désorganisation des soins…, et une souffrance considérable dans une population d’origine souvent mixte, comme elle-même.
La question posée pour cette table ronde fut-elle réellement traitée ? pas vraiment, et on ne saurait s’en étonner, tant les perspectives à court terme paraissent troublées, aucune issue ou fin des hostilités n’apparaissant à l’horizon. Mais l’évènement était sans doute utile et nécessaire à la mobilisation des esprits et au développement des réflexions et actions, au n niveau européen et mondial.
Que peut-on faire aujourd’hui et demain pour aider l’Ukraine à retrouver un dispositif de soins psychiatriques suffisant ?
Il est probable que les pays les plus expérimentés en matière de situations extrêmes, entre guerre, actes de terrorisme et catastrophes, sont bien plus à même d’intervenir sans délai, et l’association israélienne Enosh semble avoir missionné près de six cents de ses membres sur le terrain pour aider les Ukrainiens à faire face aux besoins des populations, malades ou pas, victimes de la guerre.
Mais il faut bien reconnaitre l’énorme écart existant entre les pays riches et en paix, sis à distance du champ de bataille, et les pays de moindre niveau économique, situés à une portée de bombe des agresseurs dont les menaces ne sont certainement pas prises à la légère. Que ce soient les Géorgiens, qui ont eu récemment à en découdre avec les Russes, les Polonais, les Roumains, les Baltes et les Scandinaves, tous sont à l’évidence très inquiets de la situation, et volontaires pour organiser une solidarité et une résistance.
Il n’en reste pas moins que :
–       Pour nous, français, les distances géograghique et culturelle, la barrière des langues, le chiffre modeste des réfugiés ukrainiens sur notre sol (moins de 100 000) font sans doute que la mobilisation des professionnels en santé mentale est restée relativement limitée.
–       La situation actuelle nous interpelle radicalement sur nos compétences en matière de psychiatrie de guerre, en quelque sorte, car si les précédentes décennies ont montré au cours de nos pratiques la persistance d’effets terribles et durables des guerres sur la vie psychique individuelle, familiale et sociale, s’étalant volontiers sur plusieurs générations, il s’est agi de traiter des effets d’après-coup, et non pas de conséquences immédiates, en général. Autrement dit, il nous faudra surement nous interroger plus avant sur la pertinence de nos analyses se référant aux PTSD, par exemple : quelles urgences en matière de santé mentale pour les civils ou militaires pris dans ces situations de guerre, quelles prises en charge utiles, de quelle manière et par qui ? ou encore nous interroger sur notre offre de soins et d’accompagnement aux réfugiés.
–       Enfin, cette thématique des effets de guerre revient poser avec acuité la question de la langue, car si le recours à l’anglais dans les échanges techniques entre professionnels est une ressource incontournable dans une première approche, on ne voit pas qu’un soin cohérent puisse se construire hors la langue d’origine de l’intéressé ; il nous serait sans doute utile de connaitre le détail de nos ressources sur ce point, via un recensement des professionnels compétents ayant une bonne connaissance d’une ou plusieurs langues étrangères, et peut-être la FFP pourrait à ce propos prendre des initiatives utiles…
De la guerre, donc, on en reprendra bien une portion, peut-être plus copieuse qu’on ne l’avait jamais pensée en tant que réalité actuelle sur notre sol ou à proximité ; et si l’on sait que sa digestion peut être particulièrement longue et laborieuse, elle nous somme également d’imaginer comment il parait possible d’en contrer les effets immédiats ou à court terme, et de nous préparer à inventer les dispositifs les plus adéquats, toutes populations confondues. Car si l’on sait bien que les plus vulnérables seront ceux qui paieront le tribut le plus lourd, comme les malades psychiques, par exemple, personne ne peut se prétendre psychiquement à l’abri lors des déchaînements de destruction systématique comme celui que l’on a sous les yeux.

Jean-Jacques Bonamour du Tartre
Psychiatre
Ancien Président de la Fédépsychiatrie

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2022

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Editorial Septembre 2022

REFONDATION

Ce mot circule en cette rentrée comme viatique aux conflits de notre époque, un peu comme on dirait : “on efface tout, et on recommence”. Pendant longtemps, le mot “Déconstruction” se trouvait utilisé dans le même but, loin du concept théorisé par Jacques Derrida portant sur l’importance de l’écriture en opposition à la communication orale. Ces mots, déconnectés des concepts dont ils permettent le développement, servent souvent de leurres pour se détourner des vraies questions ; ils ne permettent pas de trouver les bonnes réponses.

Henri Bergson a fondé la cohérence de son œuvre philosophique sur la notion de la permanence quotidienne de “l’imprévisible”. Cette notion permet de considérer la réalité comme une source continue de nouveauté. A l’opposé, une conception linéaire de l’évolution des faits, et des institutions en particulier, implique d’expliquer la survenue d’événements inattendus au moyen d’une logique dénuée de toute subtilité qui élude les difficultés de la situation considérée. La logique linéaire, qui emploi les mots “titres” sans en définir la référence, fournit des explications simplistes qui ne mènent à aucune résolution des difficultés d’évolution d’un système.

La Fédération Française de Psychiatrie souhaite actuellement engager un travail de mise à jour de ses règles de fonctionnement. Les premières étapes de ce travail effectué par l’ensemble du bureau, coordonné par Michel David, s’inscrit dans une dynamique qui vise à lever les ambigüités et imprécisions de règles relativement anciennes. Par ailleurs, à l’occasion de ce travail, il nous appartient collectivement de préciser davantage, en le traduisant dans les écrits, les fonctions de la FFP et d’élaborer ainsi sur son avenir.

Loin d’une “refondation” dépourvue de sens dans notre situation, nos “bases” se révélant saines, il conviendra cependant pour chaque association membre de se déterminer quant à la place qu’elle entend occuper au sein de la FFP et sur les modalités de sa participation au travail commun.
Le travail sera aussi enthousiasmant qu’exigeant ; il importe de nous mettre à l’œuvre dès cette rentrée !

Claude Gernez, Président de la Fédération Française de Psychiatrie
&
Brice Martin, Président élu (2023-2025) de la Fédération Française de Psychiatrie

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Editorial Juillet-Aout 2022

USIP, isolement et contention vs huile de friture et déconnexion du Wi-Fi

Courts émois cet été sur les unités de soins intensifs en psychiatrie (USIP). Le communiqué de presse de plusieurs associations, dont la Fédération française de psychiatrie, demande un moratoire et une mission sur ces unités. Dans la rubrique « soins sans consentement, isolement et contention » de ce site, vous trouverez des détails sur ce sujet.

Je concluais l’éditorial de juin en proposant quelques lectures permettant de s’échapper partiellement des vents mauvais qui nous entourent. Aussi, je resterai bref. En fait, le traitement de la maladie mentale dans ses formes les plus sévères devient de plus en plus rébarbatif. Il s’agirait de cantonner certains patients dans des unités spécialisées, sans tenir compte d’une politique de proximité et en arguant une impossibilité de donner des soins efficaces dans les unités d’hospitalisation « classiques ». On ne saurait plus faire. Les savoirs et savoir-faire seraient perdus. Inutile par ailleurs de se poser la bête question de la possibilité pour ces fameuses unités de recruter les compétences médicales ou infirmières nécessaires. Il ne s’agit que de créer des apparences.

Et comme la question est très technique, austère, complexe, elle risque de n’être traitée que confidentiellement et administrativement, en ne tenant compte que de considérations conjoncturelles et non de fond. Ce n’est pas non plus une mission centrée sur la seule question des USIP qui paraît importante, mais il vaudrait mieux se demander quelle politique de santé faut-il mener pour la psychiatrie. D’un côté développement des USIP, à défaut d’augmenter le nombre des UMD, de l’autre un vent abolitionniste des soins sans consentement, et corrélativement de l’isolement et de la contention, soit regard craintif sur la réalité de la maladie mentale dans ses formes les plus sévères, soit déni de la maladie mentale. Dans les deux cas, ces positionnements radicaux aux perspectives sombres peuvent toutefois avoir une voie finale commune : le développement d’un système de défense sociale optant pour la neutralisation au détriment du soin.

Mais cela est trop abscons. Légiférer pour faire fonctionner de vielles voitures diésel avec de l’huile de friture ou recommander, comme le fait notre ex-ministre de la Santé, de couper le Wi-Fi non utilisé sont plus de nature à alimenter les discussions sur la plage, tout en étant attentifs à ce que les crèmes solaires ne polluent pas l’eau de mer, mais tout en s’en badigeonnant pour prévenir les mélanomes.

Évidemment, il est plus intéressant d’interroger notre liberté de circuler en voiture avec l’huile de friture ou de communiquer sans restriction grâce aux NTIC plutôt que d’interroger la notion de liberté en psychiatrie et sa nécessaire relation avec la protection de la santé tout en évitant de trop penser aux redoutables tensions internationales.

À défaut de se noyer dans la mer ou dans les piscines, on ne peut que constater que nous sommes immergés dans un océan de contradictions.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux
Président sortant de la Fédépsychiatrie

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Editorial Juin 2022

La tempête est là ! Tous aux abris.

Le président de la Fédération française de psychiatrie, Claude Gernez, titrait le précédent éditorial : « Avis de tempête ». La tempête est bien là, elle est même présente depuis de nombreuses années, notamment dans le secteur de la santé qu’il soit hospitalier ou non.

Pour l’hôpital, il est aisé de dater le début de la catastrophe en 2007, avec la tarification à l’activité (TAA) introduite dans le plan Hôpital 2007, et en 2008 avec la loi Hôpital, patients, santé territoires (HPST) qui a été à l’origine de l’organisation en pôles à l’hôpital et à la nomination des responsables de pôles ou d’unités fonctionnelles par les directeurs et non plus par le ministère de la Santé, mettant les médecins sous l’autorité des directeurs d’établissements hospitaliers. Quant aux pôles, comme tout regroupement d’unités plus petites, leur organisation ne pouvait qu’éloigner leurs responsables médicaux du « terrain ». D’ailleurs, pour la population, les pôles sont des unités au mieux abstraites, au pire inconnues ; seul le service avec son chef de service demeure dans les représentations collectives, ce qui est un bon marqueur de l’échec d’une réforme. Et pour se complaire dans le gigantisme, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont devenus obligatoires en 2016, stratégie collective médico-soignante censée faciliter la coordination des professionnels pour améliorer l’accès aux soins comme le revendique les autorités de santé. Les GHT ont été l’occasion de doubler les instances hospitalières comme les commissions médicales de groupement et de concocter laborieusement des projets médicaux partagés. Donc une multiplication des réunions, des comités de pilotage alimentant à l’envi une copilite suraigüe. Sans oublier les autres réunions dites de travail pour préparer depuis une vingtaine d’années l’accréditation puis la certification. On est en droit de se demander, face à la crise hospitalière, quelle est la valeur ajoutée de la certification à la qualité des soins. Pourquoi ne pas évaluer l’évaluateur, que l’évaluateur soit notamment la HAS ou le Contrôle général des lieux de privation de liberté ? Oh ! Il ne s’agit pas d’élaborer des procédures aussi complexes que ces deux organismes (de toute façon, nous n’en avons pas le temps), mais quelques critères simples émis par les soignants (voire les administratifs s’ils osaient…) permettraient un regard « contradictoire ». Les médecins du CHU de Limoges ont bien montré l’exemple récemment en boycottant la visite de certification.

Tout cela pour l’ensemble de la médecine. La psychiatrie avait échappé jusque-là à la TAA, mais avec la réforme du financement en cours, elle peut se réjouir de ne plus être stigmatisée, de se rapprocher avec bonheur du reste de la médecine, car une proportion de TAA, environ 20 %, va lui être infligée. Mais que la psychiatrie ne s’inquiète pas. Elle a encore de beaux jours devant elle pour faire bande à part. Il faut reconnaitre que les pouvoirs publics se donnent bien du mal pour en souligner la spécificité. Il en est ainsi de la législation sur les soins sans consentement et tout particulièrement sur l’isolement et la contention. Trois questions prioritaires de constitutionnalité depuis 2011 ont agité la société civile, les usagers, les professionnels de santé, le législateur et l’exécutif, sans que pour autant la diminution de ces mesures ait été constatée. La chronique en est largement détaillée dans le dossier « Soins sans consentement » sur notre site.

L’autre sujet qui a agité récemment le Landerneau de la psychiatrie concerne la loi sur la responsabilité pénale. En fait, avant la loi, l’agitation venait plutôt de la société civile avec l’émotion suscitée par le meurtre de madame Sarah Halimi et qui demandait une réforme de la loi relative à l’irresponsabilité pénale dans les situations où le discernement est aboli ou altéré. Là aussi un dossier complet « Autour de l’irresponsabilité pénale » est sur notre site.

Sur la genèse de cette loi, ce qui est remarquable est qu’une fois lancé le projet de loi, la société civile s’est montrée plutôt silencieuse. Probablement parce que le projet de loi était incompréhensible et que l’actualité était dominée par la pandémie et le passe vaccinal. Et une fois la loi votée, peu de réactions de ceux qui l’avaient souhaitée, toujours probablement parce qu’elle était incompréhensible. L’émoi est surtout venu quand le décret d’application s’est vu doté d’une phrase malheureuse dans la notice qui l’accompagnait, pouvant faire accroire à un risque de pénalisation d’un patient commettant un délit ou un crime que l’on pourrait attribuer à l’arrêt volontaire de son traitement. L’agitation importante, vive, acérée, collective suscitée par cette maladresse contraste avec l’absence de réaction lorsqu’au cours des débats parlementaires un député de la majorité présidentielle avait suggéré cette lumineuse et bienveillante idée.

Le ministre de la Justice (toujours en poste) et le ministre de la Santé (plus en poste) ont écrit une lettre pour affirmer qu’il s’agissait d’un regrettable malentendu et qu’il n’y avait pas de raison de punir un patient qui arrêterait son traitement et commettrait une infraction, mais pas de modification de la notice. Enfin, le directeur des affaires criminelles et des grâces signe une circulaire expliquant la loi tout en affirmant, sous la forme que l’on peut considérer comme une dénégation, qu’il n’est pas dans l’intention de l’exécutif de pénaliser les patients arrêtant un traitement (il faut reconnaitre que le ministre de la Justice avait été sans ambiguïté sur ce sujet lors des débats parlementaires). Il semble qu’il faille considérer que la lettre des ministres et les explications de la circulaire aient suffi à calmer les esprits, car la mobilisation est vite retombée. Pourtant comme le déclare le président de la République dans un article du Monde le 6 juin : « Cette révolution culturelle part du terrain et associe tous les acteurs (…). Les Français sont fatigués des réformes qui viennent d’en haut. Ils ont plus de bon sens que les circulaires. Paris doit être au service du terrain » … La Fédération française de psychiatrie n’a toutefois pas relâché sa vigilance en recourant aux tweets ou au présent éditorial.

Et également sur ce sujet de la responsabilité pénale, une remarque de « psy » sur le regrettable malentendu et la malheureuse phrase de la notice. Quelle interprétation à donner à ce malentendu ? Quelle intentionnalité faut-il attribuer à l’exécutif pour cette présumée maladresse. Il est intéressant de remarquer que dans le contexte de la loi sur la responsabilité pénale où est interrogée l’intentionnalité d’une personne dans la préparation et la commission d’un forfait, on en arrive à interroger les intentions des gouvernants !

Ce qui est aussi remarquable dans cette circulaire, c’est qu’il y est affirmé l’incongruité de l’article 1 de la loi qui prévoit de punir un criminel ayant un projet structuré, mais qui se mettrait dans une situation d’abolition du discernement en prenant des substances psychoactives, mais qui bien qu’en ayant un discernement aboli arriverait à aller jusqu’au bout de son forfait. Ce qui est tout simplement impossible. L’article « Légifémotion » que vous trouverez aussi dans le dossier de la Fédération argumentait largement cette incongruité. La circulaire le dit explicitement : « Ces dispositions ne peuvent en pratique s’appliquer que dans des cas rarissimes : d’une part, la personne qui consomme des produits toxiques dans le dessein de commettre une infraction ou d’en faciliter la commission souhaite évidemment conserver une part suffisante de son libre arbitre pour commettre effectivement l’acte projeté ; d’autre part, si elle a consommé de façon excessive ces produits au point d’en perdre la raison, elle ne sera le plus souvent plus en état de commettre cet acte. » Tout ce travail législatif et toute cette polémique pour en arriver à ce triste constat !

Dans ladite circulaire, il est aussi intéressant de noter au 2e paragraphe que : « Ces dispositions ont été adoptées à l’issue d’une vaste concertation menée auprès de praticiens issus du monde judiciaire et du monde médical (…) ». On ne peut nier que des auditions ont été menées (y compris de votre serviteur pour la Fédération française de psychiatrie), qu’un rapport à la demande de l’ancienne ministre de la Justice recommandait de ne pas modifier les dispositions sur l’irresponsabilité pénale (documents dans le dossier sur le site), mais faut-il appeler ces travaux une « concertation », d’autant plus quand les avis négatifs sur le projet de loi fleurissent où qu’une réaction forte s’exprime face aux risques de pénalisation des malades arrêtant leur traitement ? Serait-ce ce qu’on appelle la « disruptivité » que l’on doit comprendre comme la méthode qui consiste à adopter la mesure qui fait consensus contre elle ? Et en tant qu’acteur-témoin des discussions sur cet épisode de la vie politique, j’ai pu constater une grande défiance envers les « décideurs » parmi les personnes, professionnels comme usagers, qui ont retravaillé sur cette question. C’est un exemple de contribution à la perte de confiance envers le monde politique et la tentative de se soustraire à la vie démocratique.

Si la disruptivité devient la méthode d’un éventuel futur « Conseil national de la refondation », il faut s’attendre à bien des péripéties sociales et à une résistance plus qu’à une refondation. Et si pour refonder, il s’agit de demander une mission flash sur les urgences pour passer la tempête estivale, il faut s’attendre aussi à ce que ses effets permettent à Météo France de lancer une alerte rouge pour l’été. Dommage d’ailleurs que lors de son annonce de cette mission aux urgences du centre hospitalier de Cherbourg début juin, le président de la République et la ministre de la Santé ne se soient pas rendus à l’hôpital psychiatrique local en grève le lendemain de leurs visites, avec des personnels soignants épuisés et décourager par l’ampleur de la tâche. Et quand une cadre de santé du centre hospitalier de Cherbourg dit au président de la République que la formation des infirmiers est lacunaire, en ayant abandonné les mises en situation, il ne trouve pas d’autres réponses à ces soignants débordés que de leur demander s’ils ne pourraient pas encadrer les élèves en formation, sans parler de la formation lacunaire des infirmiers à la psychiatrie. Et que penser ensuite d’une conférence des parties prenantes » ? Pompeuse oui, mais inutile certainement. Déconnexion avec la réalité ou autres intentions peu louables ? Encore des interrogations sur l’intentionnalité de nos dirigeants, et corrélativement dans une démarche expertale sur l’état de leur discernement !

Et comme la tempête nécessite de se mettre à l’abri, c’est l’occasion d’un repli propice à la lecture. Vous pouvez trouver sur le site dans les dossiers de la Fédépsychiatrie une rubrique analyses de livres qui peut vous donner des projets de lecture cet été et qui sera alimentée d’une analyse par semaine d’ici juillet. En somme, il est préférable de s’abandonner au silence de la lecture pendant la pause estivale plutôt que de succomber au bruit et à l’agitation politique, médiatique et guerrière d’un monde dangereux et imprévisible.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux
Président sortant de la Fédépsychiatrie

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Editorial Avril 2022

AVIS DE TEMPÊTE

 En ce temps d’incertitude, en cette période d’indétermination d’une dangerosité avérée dont on ne sait comment elle peut se terminer et moins encore à quel terme, nos réactions nous engagent en tant que citoyens et comme professionnels. Nous nous joignons à tous ceux qui soutiennent le peuple d’Ukraine et particulièrement ses soignants, soumis à des actes de barbaries que nous pensions inimaginables en ce temps, et en Europe même.
La situation en France, en veille d’élection, soulève aussi beaucoup d’inquiétudes.
Nous savons que les périodes d’incertitudes ne favorisent pas la qualité du travail avec les patients d’autant plus troublés que leur pathologie se trouve plus avérée. Nous avons à craindre que les services de psychiatrie ne servent de «variables d’ajustement» dans nombre d’hôpitaux, comme les fermetures de lits sans concertation avec les soignants et sans tenir suffisamment compte des nécessités des soins, comme à Tours. La logique incompréhensible de cette politique conduit à ce paradoxe : Dominique Simonnot, CGLPL dénonce les décisions de l’ARS qui veut démanteler le service exemplaire de Chinon.
Le Service Publique n’est pas le seul touché ; le rachat de six centres de la Croix Rouge par une entreprise privée conduit à s’interroger sur la suite des soins prodigués dans ces lieux situés au cœur de populations précaires, comme la Seine st Denis. Dans ces conditions d’exercice, il ne faut pas s’étonner du nombre inquiétant de postes vacants du secteur Hospitalier comme du nombre de postes non choisis à l’ECN, pourtant l’expérience montre des lieux exemplaires qui méritent d’être reconnus et le travail de notre président élu, Brice Martin, vient en apporter la preuve.
Bien sûr, la vocation de la Fédération demeure l’information la plus scientifique possible, tenant compte de la validité des articles cités en référence aux demandes qui lui sont adressées. Les journées organisées en son nom tant en pédopsychiatrie qu’en psychiatrie adulte montrent que ce rôle est respecté, même si le nombre des professionnels présents ne correspond pas au niveau des interventions effectuées. La place prise par les conférences virtuelles et une pandémie toujours latente ont leur part dans ce phénomène, et nous devons en tenir compte pour nos journées à venir.
Il n’en reste pas moins, face à un pouvoir politique déterminé, que nos divisions nous fragilisent. Les divergences théoriques s’avèrent indispensables à l’évolution de la psychiatrie, à la condition de la qualité des échanges et du respect de la pensée de celui qui exprime ses divergences. Le risque, dans la situation inverse, étant le repli et l’isolement dans un groupe autarcique qui participe à la fragmentation de la profession, et prend le risque d’une nouvelle scission à plus ou moins long terme.
Ces propos peuvent paraitre bien pessimistes mais ils me semblent les critères à prendre en compte pour préparer un avenir difficile et se garder d’un manque de vigilance face aux difficultés qui nous attendent, et qui ne manqueront pas de nous surprendre.

Dr Claude Gernez
Président de la Fédépsychiatrie

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Editorial Février 2022

Vers un Guantanamo psychiatrique français ?

Un nouvel épisode de la chronique de l’isolement et de la contention est en passe de se terminer. Il le sera après la publication d’un décret puis d’une instruction, sans être assuré que d’autres épisodes ne suivront pas, tellement cette question semble insoluble. On ne peut pas dire que l’épisode glissé subrepticement dans la loi sur le passe vaccinal ait particulièrement retenu l’attention des médias et du public. La Fédération française de psychiatrie est souvent sollicitée par les journalistes pour des motifs « anodins », très « santémentalistes » comme la natalophobie, l’écoanxiété ou la solastalgie. On a échappé à l’épiphanophobie, encore appelée royalophobie ou galettophobie…

Plus sérieusement, le nouveau texte ne résout pas grand-chose. Certes, le juge de la liberté et de la détention (JLD) est saisi systématiquement au bout d’un certain temps d’isolement ou de contention et le renouvellement des mesures suit un séquençage et non plus un horodatage. Il n’en reste pas moins que la gestion de ces mesures, qui sont considérées comme des décisions ayant un statut administratif et non comme des prescriptions médicales bien que les psychiatres en soient les auteurs, est extrêmement lourde que ce soit pour les médecins, les équipes soignantes, administratives et pour les tribunaux, magistrats et greffiers. En ce début d’année, des difficultés surgissent avec des pratiques qui diffèrent du fait d’interprétations variables des textes ou du manque de moyens des hôpitaux ou des tribunaux.

Des situations cliniques dérangeantes apparaissent. Certains JLD imposent l’application stricte de la loi ; d’autres considèrent de ne pas avoir eux-mêmes les moyens de l’appliquer (comme pouvoir agir dans les délais). Des directeurs d’hôpitaux considèrent qu’il incombe aux psychiatres de saisir le juge alors que la loi précise bien que ce sont les directeurs qui doivent le saisir ; les médecins devant eux prévenir les proches. On imagine la disparité des pratiques sur le territoire national sans que l’on en soit surpris, car comment peut-il en être autrement quand la loi « délire », c’est-à-dire ne tient pas compte du réel et notamment de ce qu’impose la maladie mentale.

Citons précisément une situation clinique. Une personne détenue est hospitalisée en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État (SPDRE) en application de l’article D398 du code de procédure pénale après avoir eu des comportements extrêmement violents au moment de son interpellation par les forces de l’ordre, en prison avec ses codétenus et à l’hôpital. Un isolement s’imposait pour prévenir un dommage imminent et dans l’attente que les traitements médicamenteux et relationnels fassent effet. Le diagnostic de schizophrénie était partagé aussi bien par les psychiatres de la prison que par ceux de l’hôpital. En dépit d’une situation clinique encore critique, le JLD lève la mesure d’isolement en étant sensible à l’argumentation habile de l’avocat qui considère que les médecins ne peuvent pas démontrer l’existence persistante d’un danger imminent et d’un risque de dommage sur autrui (il est vrai que le risque sur autrui est limité puisqu’il est isolé…). Le psychiatre hospitalier regrette la mesure alors que le traitement commençait à faire son effet. Quelques jours supplémentaires en isolement auraient permis de résoudre la crise et de poursuivre les soins en levant l’isolement. Ne pouvant assumer le risque d’une agression sur un autre patient ou sur le personnel, une demande de retour en prison est demandée. Morale de l’histoire : pour échapper à une restriction de liberté dans le cadre thérapeutique d’un hôpital, le patient l’a vue dans le cadre carcéral, hautement plus restrictif de liberté qu’un hôpital. Comprendra qui voudra !

De nombreux hospitaliers considèrent qu’il devient de plus en plus impossible de soigner les pathologies les plus lourdes à l’hôpital. Les départs de psychiatres ou d’autres soignants se multiplient. Outre la nécessité d’avoir du personnel en nombre pour s’occuper de situations lourdes, il faut aussi qu’il ait les compétences relationnelles nécessaires pour apaiser les crises. Mais cette dernière dimension ne semble plus avoir d’intérêt. Les considérations architecturales sont priorisées. Elles sont évidemment importantes, mais elles doivent s’organiser autour d’un projet thérapeutique avec les moyens humains nécessaires pour disposer d’un « outil » efficace pour répondre aux situations les plus préoccupantes. D’autant plus que la psychiatrie réussissant, bon gré mal gré, à développer les soins ambulatoires, la concentration des situations complexes nécessitant une hospitalisation ne fait qu’augmenter. Elle peut même prendre des configurations inquiétantes comme à Toulouse, qui a fait les gros titres parfois indécents des médias, avec l’hôpital Gérard Marchant qui comptabilise plus de 70 % de personnes hospitalisées en soins sans consentement alors que la moyenne nationale tourne autour de 25 %. Les cliniques privées, nombreuses en Occitanie se dédouaneraient des situations les plus lourdes.

Ce n’est pas avec la réforme des autorisations que la situation pourrait changer puisqu’il est prévu que les hôpitaux demanderont à être autorisés pour assurer les soins sans consentement. Les conditions techniques de fonctionnement pour assurer cette mission ne portent que sur les caractéristiques des locaux (comme les chambres d’isolement par exemple), mais non sur les effectifs en personnels, que ce soit pour assurer la sécurité minimale ou pour envisager un effectif optimal pour assurer un soin de qualité. Pourtant la question des effectifs est très présente dans le débat actuel, notamment pour les EPHAD. Il existe déjà une tendance parmi certains hôpitaux de ne pas solliciter l’autorisation d’assurer les soins sans consentement considérant ne plus avoir les moyens humains pour mener cette mission.

La dégradation de l’outil psychiatrique publique est indéniable. Les volontés de voir les patients aux pathologies lourdes être orientés dans les unités pour malades difficiles (UMD) ou dans des unités dont la qualité laisse à désirer et sans encadrement règlementaire, comme les USIP (unités de soins intensifs psychiatriques) deviennent de plus en plus prégnantes.

Le risque est grand d’une orientation vers un système de défense sociale où l’on ne s’encombrerait pas des subtilités juridiques sur la liberté d’aller et venir ni de la protection de la santé, mais vers des oubliettes bienvenues. Les perturbateurs pourraient y être jetés sans autre forme de procès, voire encore mieux pourquoi pas un Guantanamo psychiatrique français. D’autant plus que la France dispose de territoires éloignés de la métropole où l’on pourrait cacher ceux que l’on ne veut pas voir, renouant avec le bagne ou la relégation. À vouloir trop bien faire, on risque la catastrophe.

Malheureusement, et cela contribue à alimenter la crise, les positions sur ces questions se cristallisent parfois, voire trop souvent, en débats passionnels. Une démarche raisonnée (l’agriculture arrive bien à le faire…) semble irréaliste. Est-on à ce point dans une démocratie où le débat concernant la psychiatrie est impossible et notamment sur les soins sans consentement ? Ne me résignant pas à constat, j’ai proposé dans un article de l’Information psychiatrique de janvier qu’un observatoire des soins sans consentement (cf. tableau ci-dessous) dont il est pourtant question depuis quelque temps, puisse étudier sérieusement cette question.

  • Établir une bibliographie internationale et nationale et la rendre accessible par des synthèses didactiques ;
  • Comptabiliser les mesures de SSC, y compris les programmes de soins, d’isolement et de contention en lien avec les autres organismes les comptabilisant (comme l’ATIH) quel que soit le lieu d’hospitalisation (Unités d’hospitalisations classiques, UHSA, UMD, USIP…) ;
  • Comptabiliser et évaluer les autres mesures de contraintes aux soins : obligations et injonctions de soins ;
  • Comptabiliser et évaluer les SDRE D398 (personnes détenues) ;
  • Comptabiliser et évaluer les soins sans consentement (hospitalisations et programmes de soins) concernant des personnes ayant été irresponsabilisées pénalement et leur répercussion sur l’organisation et la qualité des soins ;
  • Recenser les difficultés d’aménagement des SDRE par les préfectures ;
  • Comptabiliser les demandes d’expertises relatives aux SSC demandées par les magistrats ou les préfets et en analyser les décisions, leurs répercussions et leurs suivis ;
  • Évaluer l’utilisation de fichiers comme Hospyweb et le FSPRT et s’assurant de l’effacement des dossiers dans les délais prévus par la loi ;
  • Étudier les logiciels des dossiers des patients informatisés (DPI) et leur ergonomie notamment pour tenir à jour le registre d’isolement et de contention, les difficultés et les succès rencontrés dans leur utilisation, les surcoûts (financiers et humains) supportés par les établissements de santé ;
  • Lister les situations de contraintes notamment sur les restrictions à la liberté d’aller et venir dans d’autres contextes médicaux et médico-sociaux que la psychiatrie ;
  • Recenser les rapports annuels sur la politique d’isolement et de contention tenus par les établissements de santé (une information que ne connaît pas le ministère de la Santé). L’élaboration de ces rapports est une obligation légale pour les hôpitaux, plus formelle que pratique. Leurs contenus ne sont pas assez exploités alors qu’ils devraient permettre de voir les actions mises en place et l’évolution des pratiques d’isolement et de contention, si possible tendant vers la diminution. Les rapports, comme les registres, servent surtout les mouvements sectaires antipsychiatriques qui en exigent la communication ;
  • Recenser les expériences tendant à la diminution des contraintes, mais aussi ne pas occulter leurs éventuels effets indésirables (comme une perte de chance de soins) ;
  • Mener et animer une réflexion pluridisciplinaire sur la contrainte en psychiatrie ;
  • Assumer une fonction pédagogique pour les différentes composantes de la société ;
  • Et sans oublier la situation des personnes mineures concernées par plusieurs des situations listées ci-dessus. Ce point est essentiel et pour l’instant quelque peu négligé dans les politiques de santé publique en psychiatrie et qui met usagers et professionnels dans de constantes difficultés quotidiennes ;
  • Etc., Etc., Etc….

Missions possibles d’un observatoire des soins sans consentement

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux
Président sortant de la Fédépsychiatrie

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Editorial Janvier 2022

Faut-il instaurer une vaccination sans consentement (VSC) ?
Code pénal ou code de la santé publique ?

Un éditorial de janvier se devrait de présenter les vœux de la Fédération française de psychiatrie, mais en ces temps difficiles autant s’intéresser au réel plutôt qu’au rituel magique des souhaits.
Et si le réel était la vaccination sans consentement, VSC pour les intimes, il s’agit d’un outil pour décentrer un débat tendu sur l’obligation vaccinale tout en tentant de faire émerger une énième fois un débat de fond sur la psychiatrie. Un outil provocateur certes, mais qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre (quoique…) et qui permet une saine cogitation tant que le coronavirus n’aura pas trop altéré nos fonctions neuropsychiques.

Un débat, une nouvelle fois escamoté

L’aspect le plus criant du réel tragique que nous traversons est évidemment la pandémie. On aurait pu croire que le coronavirus aurait permis un rapprochement entre les contraintes qu’il impose et celle que la maladie mentale exige parfois. Dans ses travaux sur les soins sans consentement(1), la Fédération française de psychiatrie a largement montré les similitudes entre ces situations médicales qui mettent en jeu deux principes fondamentaux constitutionnels : la liberté d’aller et venir et la protection de la santé. Le projet de loi sur les outils pour gérer la crise sanitaire, notamment le pass(2) vaccinal, aurait dû aussi attirer l’attention du grand public, du « petit » public (s’il existe ?), des médias, des politiques, etc. Que nenni ! Rien. Ça ne tilte pas ou plutôt ça ne matche pas, comme on dit maintenant… La psychiatrie quand elle pose des questions sérieuses est encore plus dérangeante que lorsqu’elle n’aurait pas bien effectué son travail.

Enfin, on aurait pu espérer que le président de la République et ses propos élégants sur le sort qu’il entend réserver aux non-vaccinés (et pas seulement les antivax) qui ont fait irruption en pleine discussion des députés sur le projet de loi sur le pass vaccinal auraient attiré l’attention sur l’article 3 du projet de loi relatif à l’isolement et à la contention en psychiatrie (reprenant l’article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale 2022 censuré par le Conseil constitutionnel le 16 décembre 2021). Toujours rien, aucun écho, sauf quelques très rares écrits(3)(4). Et pourtant dans les propos du président de la République, un citoyen vigilant aurait pu relever dans sa mise en cause de la responsabilité des non-vaccinés, une autre thématique inhérente à la psychiatrie, qui tient tellement à cœur au président de la République qu’il en a été le promoteur avec la loi récente sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure (étudiée au moment de l’écriture de ces lignes par le Conseil constitutionnel)(5). Il faut d’ailleurs admettre que cette loi est particulièrement alambiquée, concernant peu de situations et probablement difficilement applicable. Le rapprochement de ces deux positionnements du président de la République sur la « responsabilité » rend ses conceptions sur le sujet particulièrement hermétique. Il est à nouveau étonnant que la foule des éditorialistes politiques dans les médias n’ait pas tenté d’en faire l’analyse, plus soucieuse de se gargariser d’un mot défini comme familier par les dictionnaires.

Le consentement

Puisque la protection de la santé, la liberté d’aller et venir, la responsabilité n’éveillent aucune lumière, tentons une autre thématique : celle du consentement. En psychiatrie, le soin doit être préférentiellement librement consenti (il l’est d’ailleurs dans l’immense majorité des cas) après, comme pour toutes les autres situations médicales, qu’une information la plus complète possible ait été donnée par le médecin (articles L1111-2 et suivants du code de la santé publique). Mais parfois, le consentement est impossible quand une personne souffre d’un trouble mental et ne consent pas aux soins. Elle peut alors se mettre en danger pour elle-même seulement ou pour elle-même et autrui. La loi permet donc d’imposer un soin, très encadré juridiquement, contrôlé depuis 2011 par un magistrat afin d’éviter toute décision administrative abusive (en jargon ordinaire et désuet : les internements arbitraires) prise en s’appuyant sur une proposition médicale.

La discussion actuelle sur la vaccination obligatoire qui traine depuis des semaines, avec les contournements de plus en plus serrés en évoluant du pass sanitaire ou pass vaccinal, n’interroge pas que la question de la responsabilité des présumés citoyens et l’irresponsabilité des assurément non-citoyens. Elle interroge le consentement aux soins. Être citoyen, c’est aussi respecter la loi. Or la loi dit que le consentement est obligatoire pour des actes médicaux. Par ailleurs, il a été largement débattu que l’obligation vaccinale serait difficile à instaurer. Une amande, même pour des insolvables ?

Soins (vaccination) obligés ou sanctions ?

En psychiatrie, la personne qui refuse des soins nécessaires que sa situation médicale impose et qui pourrait parfois, mais rarement, mettre en danger autrui ne sera pas pénalisée. Si elle ne se soigne pas, elle n’aura pas d’amende ou toute autre sanction pénale motivée par des pulsions « pénalotropiques » malheureuses. Mais des soins sans son consentement vont lui être imposés. Cet état d’esprit, soins obligés et non pénalisation, ne devrait-il pas inspirer nos réflexions collectives sur la vaccination qui est indiquée pour protéger la personne et autrui ? Puisque la situation est principalement sanitaire, il est nécessaire de se positionner uniquement médicalement et non pas pénalement ou « moralement ». Outre sa nécessité, ce positionnement serait adapté et proportionné à la crise sanitaire en étant un outil pour gérer la crise sanitaire pour reprendre l’intitulé de la loi et répondant aux critères juridiques désormais bien connus (mesures nécessaires, adaptées et proportionnées).

L’éditorial de novembre de la Fédépsychiatrie se présentait sous forme de fable. Le principe est le même pour celui-ci. La vaccination sans consentement (VSC) évoquée ici a un triple objectif, sans avoir encore fait l’objet d’un examen éthique, juridique, médical, approfondi :
– Prioriser l’impératif sanitaire en excluant toute considération pénale ;
– Mettre en relation les contraintes de la psychiatrie qui peuvent ne pas être aussi horrifiques que de bonnes âmes ont tendance à les dénoncer avec celles qui pourraient se concevoir pour la vaccination ;
– Décentrer la question de l’obligation vaccinale avec le clivage délétère entre citoyens responsables et irresponsables ;

La VSC ciblant la contrainte sur une minorité rendrait le pass vaccinal inutile, libèrerait la société d’un contrôle permanent, envahissant et pesant, tout en n’évitant pas pour l’instant les autres mesures si désagréablement qualifiées de barrières, mais pour l’instant semble-t-il encore nécessaires tant qu’un vaccin ne limitera pas la contagiosité et que trop de formes graves génèrent mortalité et encombrement des services hospitaliers. Depuis le début de la pandémie, toute la société, même les « bons citoyens » au schéma vaccinal complet, respectant à la lettre les mesures barrières, etc. vit avec la pénalisation consécutive du non-respect d’un confinement, d’un couvre-feu, de l’absence d’attestation de déplacement ou leur inexact remplissage, puis de l’obligation vaccinale pour certaines professions, de l’obligation d’avoir un pass sanitaire et d’être QR codé et enfin d’avoir un pass vaccinal. Après deux ans d’offensive virale, la soumission plus ou moins volontaire de presque nous toutes et tous est assez remarquable.

Dans l’éditorial du mois d’août 2020(6), j’écrivais « Comme le chante le chœur dans l’Antigone d’Anouilh, dans la tragédie tout est simple, ça roule tout seul. Le destin est là qui fixe des règles que les humains ne peuvent changer et dont parfois ils ne comprennent pas le sens. La pandémie suit ainsi son cours inexorable, avec son lot d’incertitudes scientifiques, du peu de prise sur son déroulement. Il est aisé de trouver des similitudes entre les thèmes tragiques et notre actualité, comme celles du pouvoir politique qui décide, et prend des mesures brutales dignes de celles de Créon révulsant Antigone : les impossibles obsèques des personnes âgées décédées en début d’épidémie ou la question de la décision : la médecine ou le politique. Dans l’Antigone de Sophocle, Tirésias tente d’infléchir Créon, en faisant d’ailleurs valoir l’opinion publique. Il y réussit d’ailleurs, mais trop tard, le mal est fait : la tragédie a suivi son cours inexorable. Si la tragédie est notre lot actuel, nous pouvons être bien inquiets et c’est probablement ce sentiment d’inquiétude, du peu d’influence des efforts humains, souvent contradictoires, erratiques, paraissant peu rationnels sur le cours des choses qui renforce l’angoisse collective et la soumission à des contraintes fortes sans questionnement approfondi.
Si le drame domine, l’espoir est davantage possible. Les bons et les méchants s’opposent. L’histoire s’écrit en fonction des rapports de force. Les scénarii peuvent être multiples, et même si le drame apportera son lot de misères, de morts, de tristesses, de conflits, avec lui « on se débat parce qu’on espère en sortir » (Anouilh) ». Il ne faudrait pas que nos angoisses collectives en arrivent à nous faire « consentir » à une conception pénale de la protection sanitaire de nous-mêmes ou de nous toutes et tous.

Pour ne pas être dans l’ambiguïté, et pour me « soumettre » à l’injonction de transparence, je précise pour terminer que je suis un fan inconditionnel de la vaccination, qu’il m’arrive souvent d’être fortement irrité par les positions des antivax (à ne pas confondre avec tous les non-vaccinés), mais qu’il me semble que des réticences par rapport à la vaccination peuvent être audibles étant donnée la complexité de la situation virologique, déjà difficile à appréhender quand on a une culture médicale, mais qui l’est encore plus quand on ne l’a pas. Et si cette proposition de VSC paraît incongrue, elle s’est au moins efforcée de s’exprimer en des termes non familiers, voire grossiers, mais respectueux, de la dignité de toutes et tous.

Et puisque l’époque tend parfois à la provocation, j’ose écrire que les contraintes (mais non les sanctions) quand elles sont nécessaires, adaptées et proportionnées comme la psychiatrie les pratique pourraient être un modèle pour d’autres domaines de la médecine, dont la vaccination… Quelles que soient les critiques formulées à propos d’une psychiatrie contraignante, privatrice de liberté, voire maltraitante, elle opte pour soigner ceux qui ne le veulent pas et non les pénaliser par des amendes.

Enfin, il n’est pas possible de commencer l’année sans que la Fédération française de psychiatrie soutienne avec force les soignants qui veulent assurer la continuité des soins en Outre-mer et notamment en Guadeloupe où les violences récentes subies par la direction du CHU de Pointe-à-Pitre sont inacceptables. Quelle que soit l’histoire des Antilles, le refus de la vaccination ne peut qu’entraîner les Guadeloupéens dans une démarche pseudosuicidaire. La vaccination anti-covid, même si elle n’est pas efficace à 100 % sur toutes formes de covid-19, même si elle ne supprime pas complètement la contagiosité, reste un instrument efficace pour lutter contre la mort due à ce virus.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux
Président sortant de la Fédépsychiatrie

1. https://fedepsychiatrie.fr/missions/soins-sans-consentement/
2. Pass ou passe ? Je ne sais jamais. J’opte pour la brutalité du masculin…
3. Cordier C. La réforme de l’isolement-contention s’achemine désormais vers son épilogue. Hospimedia, 27/12/2021
4. Jacquin JB. Pourquoi les soins psychiatriques sans consentement s’invitent dans la loi sur le passe vaccinal. Le Monde, 30/12/2020.
5. https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/202110/responsabilite_penale_et_securite_interieure.html.
6. https://fedepsychiatrie.fr/wp-content/uploads/2020/08/FFP-Edito-mai-juin-aout-2020.pdf

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2021

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Editorial novembre 2021

La ratatouille et le varech

N’ayez crainte : il ne s’agit pas d’une parmi les 250 fables que La Fontaine a écrites et qui vous aurait échappé, mais une manière qui se veut plaisante d’introduire des travers de notre société.

Le syndrome de la ratatouille dont il est en ces temps-ci question serait une façon pédagogique de parler du déficit commercial : La France est déficitaire en production de tomates, poivrons, aubergines, oignons et courgettes qu’elle doit importer. Analyse macroéconomique certes, mais pas microéconomique. J’ai en effet beaucoup de chances, car je peux me procurer dans ma Normandie profonde tous ces produits en circuits courts, sans même avoir besoin d’en importer du département voisin qu’il soit normand et même, quelle horreur, breton !

Et pourquoi le varech ? Le maire de mon petit village (moins de 1000 habitants), dans le récent bulletin municipal de novembre, communique une information désabusée sur une nouvelle procédure concernant le ramassage du varech échoué sur la plage pour usage personnel (engrais naturel pour le jardin). Un arrêté préfectoral impose qu’une dérogation individuelle ponctuelle soit demandée. Il faut retirer à la mairie une demande de dérogation, une charte de bonne conduite et un plan de la zone de récolte autorisé. Il faut ensuite adresser cette demande à la sous-préfecture. Comme la période comprise pour le ramassage va du 1er octobre au 31 janvier, en faisant une demande dès maintenant, on doute que l’autorisation arrive avant le printemps… Et quand on sait le peu de personnes qui récoltent encore le varech pour le jardin, on s’interroge sur la nécessité de les tracasser ou de mobiliser fonctionnaires municipaux ou préfectoraux pour instruire ces dossiers.

Quel rapport entre la psychiatrie, la ratatouille et le varech ?

Pour la ratatouille, il s’agit d’illustrer une discordance entre les « vécus » nationaux et les vécus locaux. Des sondages montreraient que si on demande aux Français s’ils pensent que l’immigration est un problème, 70 % répondent que oui, mais si on leur demande si pour eux dans leur environnement propre, elle est un problème, seuls 20 % acquiescent. Dans un moment où nos vies sont inquiétées par la pandémie, les propos déclinistes, alarmistes ne peuvent que contribuer à une « dépressivité » collective et aggraver la santé mentale de la population. Étant donné que la Fédération française de psychiatrie est très sollicitée par les journalistes pour répondre, toujours en urgence, à des questions très savantes, ne doutons pas d’être interpellés très prochainement sur l’impact du syndrome de la ratatouille sur la santé mentale…

L’histoire du varech renvoie évidemment à l’abus de normes tatillonnes. Le récent livre de Daniel Zagury (On massacre la psychiatrie, éditions de l’Observatoire) en donne de multiples exemples où nous pouvons toutes et tous nous retrouver, sans que ces normes, souvent contradictoires en elles, apportent des améliorations systématiquement certaines (systématiquement est une précision, car il ne s’agit pas de rejeter toutes les normes et les règlementations).

On peut se demander si les nombreuses procédures dans les soins sans consentement et autour de l’isolement et de la contention ont besoin d’être aussi complexes pour encadrer utilement les limitations de la liberté d’aller et venir prises pour protéger la santé des personnes souffrant de troubles mentaux. Si les impossibles contraintes ne font qu’augmenter la désertion des hôpitaux par les psychiatres, les soins ne pourront que se dégrader. Ainsi dans l’actuelle réforme des autorisations d’activités certains hôpitaux sont tentés pour ne pas solliciter une autorisation pour les soins sans consentement, considérant ne pas avoir les moyens de les assurer.

Ensuite, la règlementarite conduit à se polariser sur les détails et pas sur le fond. Ainsi, le Conseil constitutionnel a retoqué partiellement l’article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2021 arguant d’un manque de contrôle des mesures d’isolement et de contention par le juge des libertés et de la détention. À l’occasion de la nouvelle rédaction, qui devient l’article 28 de la LFSS 2022, les psychiatres se réjouiront de ne pas avoir à renouveler les mesures toutes les 12 heures en 24 heures, mais deux fois sur 24 heures, sans chronométrage pointilleux. Quelle souplesse obtenue ! Quelle glorieuse victoire ! En revanche, ils ne pourront pas renouveler une mesure quand une mainlevée aura été décidée par le juge, sauf éléments nouveaux ? Quels seront ces éléments nouveaux ? Toutefois, à l’heure de l’écriture de ces lignes, le Sénat a supprimé l’article 28 et des parlementaires contestent cet article qu’ils considèrent comme étant un cavalier législatif. L’insécurité juridique perdure pour les patients et pour les professionnels de la psychiatrie.

Des détails donc qui empêchent de penser le fond de la question sur l’organisation des soins en psychiatrie. Afin d’éviter d’augmenter votre dépressivité, je vous épargne des remarques sur la réforme de la responsabilité pénale, laissant à votre sagacité d’apprécier l’inadéquation clinique de ce projet de loi[1]. Le varech comme la ratatouille ne contribuent pas au joyeux moral des Français et conduisent à une défiance envers les pouvoirs publics, voire à des positionnements radicalisés comme les antivax avec l’acmé d’un positionnement extrême comme aux Antilles comme le décrit avec précision Michel Eynaud dans le numéro de novembre de l’Information psychiatrique (« Santé mentale et Covid en Guadeloupe : tsunami dans le désert »). À propos de vaccination, la lecture du livre Antivax (de F Salvadori et L-H Vignaud, Éditions Vendémiaire) primé par l’Académie des sciences fait l’histoire de l’opposition d’abord à la variolisation puis à la vaccination de Jenner. On y retrouve des arguments très actuels tout en remarquant que les opposants d’alors avaient plus d’arguments que maintenant, car les effets indésirables graves étaient nombreux, ce qui n’est pas étonnant du fait de connaissances en infectiologie et immunologie alors encore très lacunaires.

Citer deux livres me permet de vous annoncer que la Fédération française de psychiatrie a le projet d’ouvrir sur son site une page sur des analyses de livres ou d’articles pour partager avec vous des contributions intéressantes. Mais il est temps de conclure et une morale[2] s’impose.

Cette fable contient plus d’un enseignement.
Nous y voyons premièrement pour la ratatouille
Que ceux qui regardent au près se débrouillent.
Et puis nous y pouvons apprendre sans étonnement
Qu’à trop laisser le roitelet décider pour le varech
D’une vie simple, ce seront les obsèques.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux
Président sortant de la Fédépsychiatrie

[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/alt/reponsabilite_penale_securite_interieure

[2] Morale plagiée à partir de celle du « Rat et de l’huître » de Jean de La Fontaine dont le derniers vers est « Que tel est pris qui croyait prendre ».

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Editorial septembre 2021

Le ciel s’assombrit pour les patients en psychiatrie et la psychiatrie

Les heures sont vraiment sombres pour les usagers et les professionnels de la psychiatrie, à tel point que l’on peut s’interroger sur la disparition à court terme de ce que l’on appelait la psychiatrie. 

Cinq actions du Gouvernement, dont nous allons voir les points essentiels, illustrent le démantèlement progressif et, semble-t-il inéluctable, de la psychiatrie publique telle qu’on la connaît depuis des décennies, diluée progressivement dans le concept flou de « santé mentale » :

  • Le fichage avec la loi relative à la prévention du terrorisme et au renseignement ;
  • L’irresponsabilité pénale ;
  • Le passe sanitaire ;
  • Le délire numérique ;
  • La réforme des autorisations.

Le fichage des patients hospitalisés sans leur consentement

 La loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement poursuit sa traque des personnes hospitalisées sans consentement en psychiatrie et prévoit sans avis médical des mesures de soins psychiatriques pour des personnes ayant des antécédents de condamnation pour des infractions de nature terroriste.

L’article 6 (dont les dispositions sont consignées dans le code de procédure pénale) concerne des personnes ayant été condamnées à une peine de prison égale ou supérieure à 5 ans pour des faits en relation avec le terrorisme et qui « présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive (concept apparu avec la loi de rétention de sûreté du 25 février 2008 dès son premier article) et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ». Ces personnes peuvent sur décision judiciaire se voir « appliquer une prise en charge sanitaire, sociale, éducative, psychologique ou psychiatrique destinée à permettre la réinsertion de la personne concernée et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté. Cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté ». Il s’agit d’une décision de soins psychiatriques (pour l’acquisition des valeurs de la citoyenneté, nouvelle indication psychiatrique) sans qu’il soit envisagé au moins la pose d’une indication de soin par le biais d’une expertise. Les magistrats étant supposés avoir une compétence pour diagnostiquer un trouble psychiatrique et en proposer un traitement (à défaut de compétences, ne s’agirait-il pas d’un exercice illégal de la médecine ?). Quant à l’accueil dans un établissement adapté, s’il s’agit d’un hôpital psychiatrique, selon quelle modalité : soins libres ou contraints ? Quelle articulation avec les lois de 2011 et 2013. Ces dispositions législatives semblent applicables immédiatement puisqu’aucun décret n’est prévu.

L’article 7 crée un nouvel article dans le code de la santé publique (Art. L.3211-12-7). Il y est prévu que les personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement, et « Aux seules fins d’assurer le suivi d’une personne qui représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics en raison de sa radicalisation à caractère terroriste », peuvent voir leurs données d’identification et les données relatives à leur situation administrative portées non seulement à la connaissance des préfets (ce qui se fait déjà), mais surtout aux représentants des services de renseignement. Les rédacteurs du texte de loi ont prudemment évité de citer Hopsyweb, ficher très combattu par les psychiatres et les usagers dont la Fédération française de psychiatrie qui s’est associée à un recours en Conseil d’État contre les décrets établissant ce fichier. La loi procède à une extension infinie de la communication des données de ce fichier aux services de renseignement. 

L’usage de la psychiatrie à des fins sécuritaires se renforce.

L’irresponsabilité pénale

Pour faire suite à l’exceptionnalité de l’affaire Halimi, les pouvoirs publics souhaitent réformer la législation sur l’irresponsabilité pénale. La Fédération française de psychiatrie consacre une page de son site à cet important dossier.

Le ministère de la justice a déposé un projet de loi qui fera l’objet de l’attention des parlementaires en septembre selon la procédure accélérée. L’objectif du projet de loi ne modifie pas l’article 122-1 relatif à l’abolition du discernement conduisant à une irresponsabilité pénale, mais il est complété par un article 122-1-1 ainsi rédigé (article 1 du projet de loi) : « Les dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 ne sont pas applicables si l’abolition du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature, ou d’en faciliter la commission. »

L’article 2 prévoit une peine de dix ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende si la personne déclarée irresponsable a consommé « volontairement » antérieurement à son acte des produits toxiques tout en sachant que les conséquences de cette consommation pouvaient la conduire à commettre des actes d’atteinte à la vie ou l’intégrité d’autrui. Il est également prévu une aggravation de la peine si la personne commet une nouvelle infraction dans les mêmes circonstances. Ce dernier cas de figure doit être particulièrement rare et on peut se demander ce qu’il en est de l’état mental d’une personne qui « récidive » une aussi grave infraction.

 Dans l’argumentation du projet de loi (qu’il convient de lire attentivement), les rédacteurs précisent : « Ainsi, en pratique, il conviendra que l’expert psychiatre évalue l’état mental de la personne au moment du passage à l’acte initial, pour le cas échéant conclure à une abolition de son discernement, mais également au moment de la prise des substances psychoactives. Les conclusions de l’expert devront être appréciées souverainement par les juges du fond à l’aune des éléments de faits du dossier et des circonstances de leur commission. Les dispositions de l’article 2 du projet de loi ne font pas exception à la règle générale posée par l’article 122-1 du code pénal, dont il résulte que la juridiction de jugement pourra également considérer que le discernement de la personne était aboli au moment de la consommation des produits psychoactifs, et par conséquent, la déclarer pénalement irresponsable de l’infraction dont elle aurait pu être poursuivie sur le fondement de l’article 2 du projet de loi. »

On souhaite bien du courage aux rares experts encore en activité pour se pencher sur ces situations de double évaluation du discernement de la personne au moment des faits, puis plus en amont au moment de la prise de toxiques. Ne risque-t-on pas de constater encore des personnes incarcérées et hautement perturbées en prison ? L’Administration pénitentiaire va être ravie. L’efficacité de la pénalisation est d’ailleurs interrogée par le fait même de prévoir une « récidive » d’infractions sur le même mode et qui n’aurait eu aucun effet préventif sur l’auteur des faits.

Ce projet de loi complexe s’inscrit dans la demande sécuritaire médiatique et politique.

Le pass (ou passe) sanitaire et l’effet Raoult : un boulevard pour la réforme des retraites pour l’exécutif.

Celui dont l’écriture est incertaine (et le genre) n’est pas spécifiquement un nuage pour la psychiatrie, mais pour l’ensemble de la médecine. Le pass sanitaire a été adopté le 9 août. Pendant son examen par le Conseil constitutionnel, professionnels et usagers se sont inquiétés de constater dans le projet de loi une obligation de présentation du pass sanitaire par les personnes ayant des soins programmés à l’hôpital. La Fédération française de psychiatrie a été partie prenante de cette inquiétude en écrivant une lettre ouverte au Premier ministre sans avoir eu d’ailleurs de réponse.

Le décret du 7 août 2021, au titre d’ailleurs très optimiste puisqu’il s’agit de prescrire des mesures pour la « sortie de crise sanitaire », a tenté d’apporter des précisions : l’admission pour des soins programmés sans pass sanitaire reste possible sur décision du chef de service ou en son absence (le décret a presque tout prévu, même les absences en période estivale, étant publié en août…) d’un représentant de l’encadrement médical ou soignant afin d’éviter un empêchement à l’accès aux soins dans « des délais utiles à la bonne prise en charge du patient ». Un autre alinéa semble indiquer que l’accueil est possible sans passe sanitaire pour les accompagnants d’enfants venant à une consultation. Ce dernier point est important pour la pédopsychiatrie et la pédiatrie.

La crise sanitaire a pu mettre en évidence des décompensations psychiatriques plus fréquentes pour l’ensemble de la population. Rendre plus difficile l’accès aux soins semble un non-sens. Le présent décret peut être à l’origine de positionnements divergents des directions et des médecins (avec en arrière-plan des questions de responsabilité). Il est également regrettable que le décret ne fasse état que du chef de service, car les praticiens responsables de leurs consultations ou de leurs unités ont leur mot à dire.

Quoiqu’il en soit, les hôpitaux ayant mis en place depuis 18 mois des mesures pour assurer l’accueil des patients, les professionnels étant censés être vaccinés ou se protégeant, tous les patients détenteurs de pass ou non doivent être accueillis à l’hôpital, d’autant plus que les consultations sont une opportunité pour échanger autour de la vaccination.

Un des syndicats membre de la Fédération française de psychiatrie, le syndicat des psychiatres des hôpitaux, (SPH) a appelé ses adhérents à lui faire part des difficultés rencontrées dans l’accès aux soins dans son communiqué du 12 août : « Pas d’impasse pour les soins en psychiatrie ».

La DGOS, peut-être en réponse aux réactions des usagers et des professionnels craignant la restriction de l’accès aux soins, a publié rapidement un message d’alerte sanitaire pour amoindrir la rigueur de la loi afin d’éviter toute « perte de chance « : Ainsi, les entrées par les services d’urgence ou de maternité des établissements de santé ou dans les consultations de soins non programmés assurées au titre de la permanence des soins, mais aussi l’accès à un dépistage, la vaccination, le cas échéant en centre de vaccination, et les interruptions volontaires de grossesse ne sont pas soumis à la présentation d’un passe sanitaire.
Toutes les autres prises en charge dont le différé entraînerait une perte de chance pour le patient peuvent également en être exemptées sur appréciation de l’encadrement médical ou soignant de l’établissement. Lorsque la prise en charge d’un patient relevant des situations décrites ci-dessus nécessite l’accompagnement d’un tiers, l’accompagnant peut bénéficier d’une exemption au passe sanitaire sur appréciation des équipes de l’établissement.

Une attention particulière doit être apportée aux personnes dont les troubles psychiques et/ou le handicap, ou dont la barrière de la langue ou l’éloignement du système de santé peuvent altérer la compréhension de l’obligation de passe sanitaire, de sorte à permettre la prise en charge sans délai de leur demande de soin. À l’occasion de cette prise en charge, une explication complète leur sera cependant systématiquement fournie, de même que, au besoin, un accompagnement dans les démarches pour se faire vacciner ». 

Il n’a échappé à personne que ce pass sanitaire ne facilite pas la cohésion sociale, au vu des réactions disparates qu’il engendre, avec des manifestations aux revendications hétéroclites, et parfois avec des slogans peu compatibles avec les valeurs républicaines, révélateurs du désarroi d’une partie de la population et du peu de rigueur intellectuelle. Parmi les expressions les plus « barques » des manifestations estivales des samedis, on retiendra le soutien au professeur Raoult dont les médias ne manquent pas de dire « qu’il est poussé à la retraite », sans préciser que nous sommes tous poussés à la retraite par notre âge, par des statuts et non par la simple action de « malfaisants ». En somme, un boulevard pour l’exécutif qui pourrait relancer la réforme de retraites, en ne repoussant pas l’âge de 62 à 64 ans, mais bien plus loin au-delà de 68 ans, ce que semblent souhaiter certains manifestants… Outre tout ce qui peut être dit sur les peurs irrationnelles par rapport à la vaccination, sur la faiblesse des dissertations sur la liberté, on retiendra que toutes les règles que notre société érige au fil du temps, dont le droit du travail, les statuts professionnels, les conventions collectives, sont de peu d’importance face aux revendications narcissiques.

Le délire numérique

L’identité « QR codique » et tracée semblant entrer dans les mœurs sans grande opposition de la population, il n’est pas étonnant qu’en cette rentrée les psychiatres soient fortement sollicités pour les inciter, leurs patients et eux-mêmes à utiliser de nouvelles applications, bien entendu très utiles. S’opposer au modernisme ne peut être que la marque de professionnels déconnectés (quel mot agréable) de la réalité moderne tout en les encourageant de manière assez perverse à utiliser un numérique qui les remplacera prochainement.

Parmi les prétendants au néoGoncourt psychiatrico-numérique de la rentrée, ma sélection a relevé deux applications.

La première est « Mon suivi Psy » qui serait développée avec la Fabrique Numérique des ministères sociaux. Comme y résister car elle est présentée comme « simple et ludique et qui permet au patient de remplir quotidiennement un journal personnalisé de ses symptômes et traitements sur son smartphone. L’application propose des colonnes de Beck en version digitalisée, particulièrement utile pour les thérapies cognitivo-comportementales Mon Suivi Psy permet à la fois au patient de participer plus facilement au travail thérapeutique, appuyant son empowerment, et de mieux communiquer avec son psychiatre en lui fournissant des informations fiables sur ce qu’il se passe au quotidien pour lui. De plus, l’utilisation de l’application participe activement à la psychoéducation du patient ». En quelques lignes se dessinent une idéologie (d’État ?) orientée du soin vers le cognitivo-comportementalisme, pour une éducation paternaliste du patient tout en faisant en sorte qu’il se débrouille au mieux dans ce monde numérique (empowerment).

La seconde est promue par la Fondation FondaMental en collaboration avec une start-up et cinq centres hospitaliers. Elle doit être beaucoup plus sérieuse que la première, car son nom de baptême est anglais « MentalWise ». Tout un programme, plein d’une élévation numérique qui a dû être inspirée par la sagesse méditative de pleine conscience très à la mode dans la mouvance du développement personnel. L’application, dont je ne répèterai pas le nom, (un peu comme il faut éviter de prononcer celui de Voldemort) pour ne pas lui faire de publicité, s’adresse au télé suivi des patients atteints de troubles bipolaires et de dépression. Elle est présentée comme « facilitant la centralisation des données nécessaires au suivi des patients grâce à la captation automatique des données de biologie de ville, des données de consommation de soins (médicaments achetés, examens réalisés…) et également des données du smartphone (tracking de l’activité physique et sociale). Des algorithmes de pointe permettent ensuite d’alerter l’équipe de soins afin d’anticiper ou d’agir en cas d’aggravation de l’état de santé du patient. Les patients peuvent également s’impliquer dans leur prise en charge grâce à la déclaration de symptôme, de leur ressenti, de leur tension, leur poids, leur glycémie…. Ils peuvent récupérer dans l’application leurs ordonnances ou échanger de manière sécurisée avec leur équipe soignante. »

Ah ! les mots magiques : Facilitation, télé suivi, centralisation des données (on suppose aussi avec le dossier médical partagé/DMP), captation automatique, implication des patients, données de consommation des médicaments (attention à ceux qui présentent une mauvaise observance : risque à venir de non-remboursements, voire risque pénal en cas d’infraction secondaire à un arrêt intempestif de traitement et signalement au préfet). Et cerise sur le gâteau « tracking » des activités physiques et sociales (dont fréquence des rapports sexuels au cours des épisodes maniaques et leur géolocalisation ou activités syndicales excessives )…

Inutile de développer ici des objections à la numérisation de notre société. Pour résumer, la distanciation physique et relationnelle est bien en marche. Le robot psychothérapeute poursuit son développement. Le ministère de la santé doit inclure ces nouvelles activités numériques dans la réforme en cours des autorisations et en prévoir les conditions d’implantation et les conditions techniques de fonctionnement.

La réforme des autorisations d’activité

La réforme du régime des autorisations d’activités de soins qui est en cours, et déjà initiée par l’ordonnance du 12 mai 2021, va modifier profondément le paysage psychiatrique français. Cette réforme, complexe ne passionne pas les médecins, malgré son importance considérable et irrémédiable pour des décennies une fois adoptée. Elle prévoit des autorisations pour des activités générales pour la psychiatrie adulte, comme pour la pédopsychiatrie, comme les soins ambulatoires, les séjours à temps complet ou partiel, l’accueil familial thérapeutique, etc., mais aussi des mentions pour des activités plus spécifiques, notamment pour les urgences, les personnes détenues, les soins sans consentement, etc. Les autorisations se déclinent autour de la définition de conditions d’implantation et de conditions techniques de fonctionnement (les moyens) pour chaque activité, dont évidemment les applications numériques…. 

Pour les soins sans consentement, l’autorisation de les exercer ne serait pas donnée à tous les établissements autorisés en psychiatrie comme maintenant, mais à certains établissements. Et c’est là qu’est le danger, car certains établissements semblent commencer à dire ne pas avoir les moyens pour exercer les soins sans consentement. Les réformes autour de l’isolement et de la contention avec leurs contraintes renforcent un sentiment d’impuissance tout en ayant conscience qu’il serait bien illusoire de voir surgir rapidement les moyens nécessaires pour assurer correctement les soins sans consentement. 

Inutile de détailler ce que représentera un département dénué de possibilité de soins sans consentement et le renvoi des patients concernés dans des départements voisins ou lointains. 

Inutile d’insister sur la disparition d’une psychiatrie de proximité et généraliste (ne disons pas le secteur, pour éviter le terme qui fâche). Mais peut-être une opportunité de réformer les soins sans consentement. Et que se passerait-il si un refus généralisé d’assurer les soins sans consentement s’exprimait ?

Inutile d’en dire plus. À chacun d’en apprécier les conséquences.

Conclusion

La conclusion peut se satisfaire d’une expression à la mode : ça suffit !

Mais elle ne s’en satisfera pas. Il ne suffit justement pas d’avoir l’illusion d’une reprise en main d’une situation pour qu’elle soit effective. Il est lassant de toujours donner une vision défaitiste et catastrophique de la psychiatrie. Bien entendu, la psychiatrie publique est en souffrance, comme la médecine hospitalière également, mais pouvoir donner des soins (présentiels) à plus de 2,2 millions de patients est plutôt un bon résultat. D’autant plus que la file active augmentant sans cesse, on peut en déduire que la psychiatrie n’est pas trop repoussante.

Cela doit être une source d’étonnement d’obtenir de tels résultats dans ces conditions. Ils ne peuvent être que le fait des soignants, car si l’on considère l’action des pouvoirs publics, ainsi qu’elle a été détaillée dans cet éditorial, le bilan n’est pas très bon et les actions à venir sont autant de nuages qui s’amoncellent sur la psychiatrie.

Allez encore quelque jours d’ambiance estivale avant les soucis de l’automne et puis comptons sans le moindre doute sur les assises automnales « présidentielles » de la psychiatrie pour dissiper ces nuages…

Dr Michel DAVID

Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux

Président sortant de la Fédépsychiatrie

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Editorial Juillet 2021

Science et Certitude

Les « informations fausses » ne cessent de prendre de l’importance au sein d’une population désorientée par une pandémie dont les rebondissements renforcent l’inquiétude de tous. Les médias ont largement utilisé les interventions des spécialistes de l’infectiologie, ne manquant pas de souligner les évaluations divergentes de certains d’entre eux. Ceci ne peut pas nous étonner, c’est la pratique habituelle de certains membres de ces professions des médias, il s’agit pour eux de provoquer de l’émotion, la question de la cohérence ne se posant pas toujours. Mais les affirmations des « consultants » nous surprennent plus, ils revendiquent une place d’experts que leurs titres semblent justifier. Les contradictions entre les différentes affirmations obligent à se poser la question du caractère réellement scientifique de leurs interventions. Bien sûr, il ne s’agit que d’une minorité des experts, mais ceux-ci se reconnaissent à un trait commun : la certitude de leurs propos, y comprit en ce qui concerne les prédictions concernant l’évolution des maladies. Il semble même que le ton des interventions se trouve d’autant plus affirmé que les propos paraissent plus sujets à caution.

Il y manque la logique et la rigueur qui marque la validité d’une pensée qui se doit d’être scientifique. Mais surtout, me semble-t-il, un autre critère de validité se trouve absent de ces discours péremptoires : la remise en question par l’intervenant lui-même de ses propos, la reconnaissance d’une incertitude inhérente à toute démarche scientifique. Il importe de rappeler l’importance de phrase comme : « dans l’état actuel des connaissances scientifiques » qui permet de relativiser l’importance d’une proposition et, surtout, relance la recherche concernant le domaine abordé. Cette attitude permet aussi d’ouvrir un dialogue entre pairs que les positions de certitude empêchent ou induisent en conflits stériles.

Ce constat, possible pour toutes les disciplines, s’applique, à mon avis, spécifiquement à notre champ de recherche concernant le soin psychiatrique. Les progrès techniques réalisés ces dernières années pour intéressants qu’ils soient, ne suffisent pas à répondre aux interrogations de notre spécialité. Le travail et l’observation clinique auprès des patients demeurent indispensables, les conclusions qui peuvent en être tirées, pour acquérir une validité satisfaisante, comportent l’indication d’un facteur d’incertitude et d’ouverture à la controverse en vue d’un échange avec les intervenants concernés par les expériences relatées.

Cette définition de la logique des textes écrits peut s’appliquer aussi aux discussions entre plusieurs intervenants dès lors qu’il s’agit de décider une position commune, dans le champ de la recherche ou du domaine politique. L’esprit de la logique scientifique pourrait conduire les débats et éviter les effets de posture, comme ceux utilisant les arguments d’autorité. Ces derniers induisent les réactions de prestance et induisent le « ton guerrier » décrit par Kant, reprit par Derrida et travaillé à nouveau par Bourdieu.

La volonté de convaincre, dans ce contexte, entraine, par un effet contre-intuitif, à créer une réaction d’opposition et un refus qui prend la forme du silence.

Dr. Claude Gernez
Président de la Fédépsychiatrie

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Editorial avril 2021

Cet objectif de résistance et de combat, il est directement nécessaire de le formuler par rapport à la tendance actuelle consensuelle. Je crois que le nerf de la psychothérapie institutionnelle est bien certes cette tendance anti consensuelle, cette absence de peur du conflit pour laisser s’installer et triompher paisiblement l’attitude qui consiste à regarder le conflit en face, et voir ce qu’on peut en faire et arriver par une analyse tous ensemble à distinguer le compromis inévitable de la compromission condamnable. Or chaque fois que nous ne faisons pas ce travail, je crois que nous sommes complices de la compromission qui nous est constamment proposée. »
Hélène Chaigneau

Comment en sommes-nous arrivés là (1) ?

Les tensions qui se manifestent depuis des années en psychiatrie se cristallisent principalement autour de deux thématiques, dont nous approcherons dans cet éditorial que la première : les soins sans consentement, l’isolement et la contention et l’autisme.

Le déjà célèbre article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale 2021 relatif à l’isolement et la contention interroge « l’identité » de la psychiatrie (l’identitaire étant tellement à la mode…), mais aussi ce que nos sociétés pensent, veulent, et attendent de la psychiatrie. Le principe d’Assises de la psychiatrie souhaitées par le président de la République pourrait être une opportunité intéressante pour poser ces questions, mais le temps court pour les préparer et l’envahissement de l’espace public, de nos cerveaux et de nos corps par la pandémie, rend improbable la transformation de l’essai, sans compter les lobbies divers qui en chercheront un profit singulier au lieu d’un intérêt collectif et d’en saturer l’expression.

J’ai déjà exposé dans des éditoriaux précédents ou dans les travaux compilés sur la page consacrée aux soins sans consentement du site de la Fédépsychiatrie des analyses de fond sur les isolements et la contention. Aussi, en ce début de printemps, je souhaite surtout interroger l’orientation que la société semble vouloir pour la psychiatrie.

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Comment donc en sommes-nous arrivés là avec l’article 84 qui restera probablement un symptôme de l’étrangeté obsessionnelle à laquelle la psychiatrie est assignée, résumée à un horodatage rigide et totalement déshumanisée. Considérant que les lecteurs de cet éditorial connaissent bien le sujet, ou que ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent consulter le site de la Fédépsychiatrie, il est inutile de développer le détail de l’article 84, ne serait-ce que pour éviter de se faire du mal.

Mais le point d’orgue de la folie sociétale est atteint à la deuxième partie de l’article 84 quand il traite de l’article L.3211-12 du code de la santé publique. Pour en rire malgré tout, j’imagine un Guy Bedos, dans ses sketchs où il lisait l’actualité, commenter ce texte d’anthologie administrative stupéfiant : « Le patient ou, le cas échéant, le demandeur peut demander à être entendu par le juge des libertés et de la détention, auquel cas cette audition est de droit et toute demande peut être présentée oralement (2). Néanmoins, si, au vu d’un avis médical (3) motivé, des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à l’audition du patient, celui-ci est représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l’aide juridictionnelle ou commis d’office (4).
L’audition du patient ou, le cas échéant, du demandeur (5) peut être réalisée par tout moyen de télécommunication audiovisuelle (6) ou, en cas d’impossibilité avérée (7), par communication téléphonique, à condition qu’il y ait expressément consenti (8) et que ce moyen permette de s’assurer de son identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges(9). L’audition du patient ne peut être réalisée grâce à ce procédé que si un avis médical atteste que son état mental n’y fait pas obstacle (…) (10)».

Cet article, qui concentre des impossibilités très pratiques, résume l’ensemble de l’article 84 qui à chaque ligne montre que les dispositions imposées rencontrent des oppositions pratiques multiples. Au cours de ses travaux, la sous-commission de psychiatrie médico-légale de la Commission nationale de psychiatrie a pu faire état de l’impossibilité d’appliquer strictement la loi. La rédaction de ce texte montre la discordance entre la théorie et la pratique, met en évidence l’obsession d’enfermer le réel dans un carcan théorique, ce qui n’est pas étonnant quand il s’agit d’isolement et de contention… Avant d’imposer des règles, puisque gouverner c’est prévoir, l’exécutif et le législateur auraient dû s’interroger sur l’existence de moyens permettant de les appliquer. Imaginons que le législateur décide que tous les Français courent le 100 m en 9 s…. Les juristes publicistes ont un « outil juridique » qu’ils appellent la « théorie des formalités impossibles ». On suivra attentivement comment ce concept de procédures impossibles pourra être utilisé pour contester la loi.

La sous-commission de psychiatrie médico-légale de la Commission nationale de psychiatrie s’est donc vu attribuer la mission d’examiner en urgence l’article 84. Mission étrange, car dans quel but ? Quelle est sa marge de manœuvre ? Aucune en fait, car elle n’a pas de compétence pour modifier la loi, orienter l’écriture du décret d’application ou d’une instruction à venir. La loi est tellement précise qu’il n’y a guère de possibilité d’en modifier les directives. Dura lex, sed lex. La sous-commission aura eu le mérite de permettre à ses membres de professions différentes d’exprimer leurs difficultés ou impossibilités à appliquer strictement la loi pour des raisons aussi bien techniques que cliniques et à la DGOS de relever les objections.

Et pourtant, la psychiatrie s’agite, renâcle, râle, se plaint que les dispositions légales sont inapplicables. Là se retrouve le symptôme du malaise de la psychiatrie. Pourquoi n’a-t-elle pas réagi en 2016 au moment de la discussion de la loi de modernisation de notre système de santé puis à la parution des recommandations de bonne pratique (RBP) de la Haute Autorité de santé sur l’isolement et la contention en 2017 ? Évidemment les recommandations de la HAS ne sont que des recommandations, sans obligation de les appliquer strictement. Pourtant ce sont elles qui ont été retranscrites dans la loi (cf. le communiqué de la Fédépsychiatrie interrogeant le fait que la HAS était devenue une assemblée législative de la République française, mais qui n’a entraîné à nouveau aucune réaction de la profession).

Il m’est d’autant plus difficile de constater l’absence de réactions de la profession en 2017 que j’avais consacré toute la trêve des confiseurs de la fin 2016 pour faire les commentaires demandés au Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH) sur le projet de recommandations relatives à l’isolement et la contention et que la plupart des critiques que l’on constate actuellement y étaient développées. Je m’étais d’ailleurs demandé s’il fallait rendre publiques les observations du SPH. Peut-être que le moment est venu de le faire (les observations n’avaient d’ailleurs eu aucun effet sur la version finale des recommandations). Commentant la bureaucratie déjà dénoncée dans la 2e moitié du XIXe siècle et affectant le fonctionnement des asiles d’alors, Jacques Hochmann écrit en 2015 : « Que dirait aujourd’hui cet avocat déclaré du pouvoir médical devant la montée des empiètements administratifs et l’encadrement de plus en plus inquiétant des pratiques autorisées par la Haute Autorité de santé et les pouvoirs publics qui s’abritent derrière ses recommandations » (11).

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Comment en sommes-nous encore arrivés là avec cet autre étonnement : pour quelles raisons l’article 84 entraîne-t-il une telle agitation ? On pouvait penser que les RBP de la HAS étaient finalement suivies sans problème, que l’isolement et la contention étaient des pratiques marginales, comme les déclarations d’apparence semblaient le proclamer et que le renforcement de leur contrôle ne rencontrerait pas de problème.

Eh bien non, semble-t-il. Le trop grand recours aux isolements et à la contention serait-il un indicateur du délabrement matériel, idéologique et thérapeutique de la psychiatrie ou bien l’obstination déraisonnable de la maladie mentale à s’exprimer parfois de manière sévère.

« Parfois » est utilisé ci-dessus de manière précise, car en considérant, sans que les chiffres aient une précision arithmétique indiscutable, que les mesures d’isolement et de contention seraient en augmentation ces dernières années, elles ne concernent qu’une très faible proportion des 2,2 millions de patients suivis chaque année, avec une augmentation régulière des demandes de consultation qui ne risquent pas de diminuer avec les conséquences psychiques de la Covid-19.

S’il est indéniable que la psychiatrie, publique comme privée, a été négligée par les pouvoirs publics ces nombreuses dernières années, sans revendication sociétale majeure pour demander une amélioration de ses conditions d’exercice, il est regrettable que l’article 84 soit l’occasion d’en donner une image particulièrement dégradée, les médias s’intéressant plus aux trains en retard que ceux qui arrivent à l’heure. Il suffit de lire le récent article à charge de Libération (30 mars 2021) pour constater le focus exclusivement négatif porté sur la psychiatrie en annonçant un « Avis de défaillance généralisée ». Si tel était le cas, pourquoi la demande de consultation ne se tarit-elle pas ?

On peut craindre également que l’action de certains groupes de pression, très demandeurs de recours à une psychiatrie qui n’en ferait jamais assez tout en la dénonçant sans nuances, risque d’aboutir à l’inverse de ce qu’ils souhaitent. Avec la dénonciation de la contrainte en psychiatrie, des mauvais traitements dont elle est accusée (défaillance généralisée), avatar contemporain de l’antipsychiatrie, il n’est pas impossible de craindre une évolution vers un système de défense sociale, sous-médicalisé où tous les déviants et perturbateurs de l’ordre public, souffrant ou non de maladie mentale, y seraient reclus (en s’associant aussi avec la prison), pour des durées mal définies. Est-il utile de rappeler à quel point la psychiatrie est trop souvent utilisée par les pouvoirs publics pour réguler l’ordre social, y compris pour les radicalisés, surtout islamistes en ce moment, et voulue par une partie de la société quand un fait divers grave est mis sur le compte d’une personne souffrant de troubles mentaux que des psychiatres trop laxistes n’auraient pas contenue.

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Comment enfin en sommes-nous arrivés là avec les législations récentes, les représentions des politiques, l’image qu’elles donnent à la société de la psychiatrie et de la maladie mentale, la place assignée aux patients, les moyens qu’elles donnent ou ne donnent pas aux professionnels de la psychiatrie, etc.

2008 a été une année importante pour l’impulsion donnée à une psychiatrie sécuritaire. Qui ne se souvient pas du discours d’Antony au centre hospitalier Érasme le 2 décembre par le président Sarkozy (12). Il y a été annoncé un « plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques » avec le projet d’une unité fermée dans chaque établissement avec vidéosurveillance, la création de 200 chambres d’isolement et même, horresco referens de doter chaque patient en soins sans consentement d’un système de géolocalisation, heureusement non réalisé, mais Hopsyweb en est un avatar plus insidieux, car moins visible. Nicolas Sarkozy annonçait aussi la nécessité d’une surveillance hors les murs avec l’équivalent d’une « obligation de soin », c’est le terme que le président emploie annonçant les programmes de soins, mais s’inspirant nettement des systèmes de surveillance judiciaire post-carcérale des personnes délinquantes. Il convient d’ailleurs de rappeler qu’un des moments importants de la surveillance dans la cité des personnes délinquantes remonte à 10 ans auparavant avec la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs instaurant le suivi sociojudiciaire et l’injonction de soin issue de travaux de psychiatres et psychologues psychanalystes(13).

Et 2008 aura été vraiment une annus horribilis puisqu’il faut aussi faire référence à la loi de rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui prévoit après l’exécution d’une peine privative de liberté le placement en centre de rétention de sûreté d’une personne qui présente « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité ». La loi s’inscrit ensuite dans la tendance générale du législateur à s’immiscer de manière très précise dans les prescriptions médicales puisqu’elle « habilite » (article 6) le médecin à prescrire au condamné, avec son consentement écrit et renouvelé, au moins une fois par an, un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido. On voit aisément la similitude avec l’article 84, bien que finalement en 2008 c’était encore le bon temps puisque la loi parlait de prescription et non de décision…. Lors du discours d’Antony, Nicolas Sarkozy annonce aussi la loi HPST qui inaugurera le déclin de l’hôpital public et on ne peut oublier le moment d’anthologie où il évoque le chef unique qui doit diriger l’hôpital et que son propos prend une forme comique quand il s’embrouille sur le pouvoir de dire oui ou non (environ à 22 minutes de la vidéo citée) et dont on ne peut s’empêcher de penser que cette vision de la gouvernance hospitalière n’allait pas de soi et que son annonce dans la confusion ne pouvait que créer de la confusion à venir….

Et 2011 vint. Dans la précipitation de la question prioritaire de constitutionnalité, le gouvernement s’est vu dans l’obligation de mettre en conformité avec le droit européen, mais aussi notre Constitution, l’hospitalisation contrainte des patients en psychiatrie. Quel paradoxe que cette loi ! Son premier article du premier chapitre intitulé « Droits des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques » commence plutôt mal, par une formule négative et se poursuit par une objectivation de la personne et sans qu’elle soit considérée comme un sujet et un acteur de ses soins : « Une personne ne peut sans son consentement (…) faire l’objet de soins psychiatriques ». Ne serait-ce que ce premier article justifie une refonte complète de la loi qui serait bien inspirée si elle commençait par exemple par une formule de ce type : « Les soins psychiatriques relèvent du droit fondamental à la protection de la santé pour toute personne conformément à l’article L1110-1 du code de la santé publique ».

Éludons ici la réforme de 2013 montrant essentiellement l’incomplétude de la loi de 2011 et corrigeant la distancielle et froide visioconférence pour l’audience auprès du juge des libertés et de la détention passée de 15 jours à 12 jours pour en arriver à 2016. La loi de modernisation de notre système de santé rajoute un article sur l’isolement et la contention dans une loi non spécifique à la psychiatrie. Comme pour 2011, réformée en 2013, l’article de 2016 est de nouveau insatisfaisant et est réformé début 2021, tout en suscitant de nombreux mécontentements pour des motifs très différents, mais dont on peut s’attendre qu’ils soient à l’origine de plusieurs QPC, sans compter tous les litiges auprès des différents niveaux de juridictions. Ainsi en est-il du principe de répétition que la Fédération française de psychiatrie a déjà relevé dans son communiqué du 29 décembre 2020.

Et passons rapidement sur le plan national de prévention de la radicalisation présenté par le Premier ministre le 23 février 2018 qui aboutira à deux décrets en 2018 et 2019 instituant le Fichier Hopsyweb mettant en relation les personnes hospitalisées sans consentement avec le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et rendant très lisible l’utilisation de la psychiatrie à des fins sécuritaires. La psychiatrie est dotée de deux gènes, un thérapeutique et un sécuritaire, avec selon les époques un dominant, l’autre récessif. Il est indéniable que le gène sécuritaire est dominant actuellement.

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Comment enfin en sommes-nous arrivés là avec deux décisions récentes du Conseil constitutionnel à un mois d’intervalle qui pour la première valide la loi d’urgence sanitaire limitant la liberté d’aller et venir en arguant à plusieurs reprises de la protection de la santé (14) et qui pour la seconde sanctionne la psychiatrie au nom de la liberté d’aller et venir sans citer la protection de la santé (15). On aurait été en droit de penser que la deuxième décision aurait pu s’inspirer des arguments de la première. Que nenni ! Pour quelles raisons la psychiatrie est-elle à ce point déconsidérée qu’il n’est pas concevable qu’elle agisse pour la protection de la santé des personnes malades, alors qu’elle doit répondre au premier article du Code de la santé publique qui met tous les soins sous l’égide du principe constitutionnel de la protection de la santé ? Et comme pour les RBP de la HAS, personne ne soulève cette inéquité de traitement que je n’arrêterai pas de rabâcher(16). Qui défend foncièrement la discipline, sans évidemment se garder d’en souligner les manquements ? Une démarche nuancée est-elle si impossible dans ce monde craintif ?

L’article 84, symptôme d’un « sur droit » dont la psychiatrie est tout particulièrement la cible, érige des règles incompatibles avec la clinique la plus ordinaire et les réalités basiques de terrain. Il pourrait toutefois être l’opportunité, grâce à son irréalisme, d’initier une réflexion sur ce que notre société souhaite comme système de soin psychiatrique et les moyens qu’elle veut ou peut y attribuer. Cette élaboration collective exige du temps et une rigueur méthodologique. La référence proustienne au temps a inspiré Jean-Jacques Bonamour du Tartre, ancien président de la Fédération française de psychiatrie, pour le titre de son éditorial de ce mois d’avril 2021 pour la revue de l’Information psychiatrique tout en ayant la subtilité de le relier à un lien perdu(17).

Ce ne sont pas des Assises de la psychiatrie prévues dans la précipitation, non concertées avec la profession, mais dont sauront se saisir des lobbies bien placés auprès du pouvoir ultime, qui permettront d’oser regarder le conflit en face afin d’éviter une compromission condamnable comme le disait Hélène Chaigneau et de retrouver le lien perdu.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux
Président sortant de la Fédépsychiatrie


  1. Ce titre reprend une question que j’avais déjà posée dans l’article La psychiatrie sous contraintes. L’information psychiatrique 2017 ; 93 (7) : 535-42 doi : 10,168 4/ipe.2017.1667
  2. Si on entre dans le détail : le patient isolé non contentionné ou isolé et contentionné demande oralement aux soignants qu’il souhaite une audience. Les infirmiers relaient la demande au médecin qui informe la direction de la demande du patient, qui elle-même relaie au JLD (délai, modalités de transmission de la demande ?).
  3. Un avis seulement, donc pas de nécessité d’un examen clinique qu’aurait exigé un certificat.
  4. Deuxième temps : si contre-indication médicale, le médecin relaie la demande à la direction tout en informant d’une contre-indication médicale dans « l’intérêt » du patient. Quels sont les critères permettant d’établir ce qui est l’intérêt d’un patient ? Qui est légitime pour parler de l’intérêt du patient ? Il faut s’attendre à des contestations de fond sur la légitimité soignante (médicale, infirmière, etc.) pour parler de l’intérêt du patient, puisque fondamentalement la psychiatrie est une discipline médicale dont il faut se défier.
  5. Heureusement pas d’avis médical pour le demandeur…
  6. Avec une caméra GoPro… et une liaison Wifi, sécurisée évidemment. Là j’imagine Guy Bedos se déchaîner…
  7. Il faudra justifier l’impossibilité avérée : pas de matériel adéquat donc défaut d’organisation de l’hôpital ; pas de professionnels sachant l’utiliser : défaut de formation, etc.
  8. Tout en étant en soins sans consentement…
  9. Il faut s’assurer de l’identité du patient, plus difficile au téléphone qu’en visio (avec la caméra GoPro), car le JLD ne le verrait pas. On peut espérer qu’à notre époque technophile, la qualité de la transmission téléphonique puisse être assurée (on a entendu grâce à Perseverance le vent sur Mars). Comment s’assurer de la confidentialité des échanges ? Comment être certain qu’un patient soupçonné de radicalisation n’est pas sous écoute téléphonique ?
  10. Et de nouveau, l’état mental de la personne doit permettre cette communication téléphonique. Si les établissements de santé, les juridictions et les patients ont réussi à aller jusqu’au bout de cette procédure, c’est qu’ils ont été dotés eux aussi d’un dispositif du type « Perseverance » ….
  11. Les antipsychiatries. Une histoire. Odile Jacob, 2015, 83-4.
  12.  https://www.dailymotion.com/video/x7lj27
  13.  Balier C, Ciavaldini A, Girard-Khayat M, Rapport de recherche sur les agresseurs sexuels, Direction générale de la Santé, juin 1997
  14.  Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020
  15.  Décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020
  16. Le détail de ces argumentations est exposé dans le mémoire de la Fédépsychiatrie : « De la liberté en psychiatrie et ailleurs »
  17. Bonamour du Tartre JJ. À la recherche du lien perdu… L’Information psychiatrique 2021 ; 97 (3) : 187-8 doi : 10,168 4/ipe.2021.2227. https://www.dropbox.com/s/xzipa5oshv1lg54/JJBT%20a_la_recherche_du_lien_perdu.pdf?dl=0
Numéro 24 | cliquer pour télécharger
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Editorial avril 2021

Cet objectif de résistance et de combat, il est directement nécessaire de le formuler par rapport à la tendance actuelle consensuelle. Je crois que le nerf de la psychothérapie institutionnelle est bien certes cette tendance anti consensuelle, cette absence de peur du conflit pour laisser s’installer et triompher paisiblement l’attitude qui consiste à regarder le conflit en face, et voir ce qu’on peut en faire et arriver par une analyse tous ensemble à distinguer le compromis inévitable de la compromission condamnable. Or chaque fois que nous ne faisons pas ce travail, je crois que nous sommes complices de la compromission qui nous est constamment proposée. »
Hélène Chaigneau

Comment en sommes-nous arrivés là (1) ?

Les tensions qui se manifestent depuis des années en psychiatrie se cristallisent principalement autour de deux thématiques, dont nous approcherons dans cet éditorial que la première : les soins sans consentement, l’isolement et la contention et l’autisme.

Le déjà célèbre article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale 2021 relatif à l’isolement et la contention interroge « l’identité » de la psychiatrie (l’identitaire étant tellement à la mode…), mais aussi ce que nos sociétés pensent, veulent, et attendent de la psychiatrie. Le principe d’Assises de la psychiatrie souhaitées par le président de la République pourrait être une opportunité intéressante pour poser ces questions, mais le temps court pour les préparer et l’envahissement de l’espace public, de nos cerveaux et de nos corps par la pandémie, rend improbable la transformation de l’essai, sans compter les lobbies divers qui en chercheront un profit singulier au lieu d’un intérêt collectif et d’en saturer l’expression.

J’ai déjà exposé dans des éditoriaux précédents ou dans les travaux compilés sur la page consacrée aux soins sans consentement du site de la Fédépsychiatrie des analyses de fond sur les isolements et la contention. Aussi, en ce début de printemps, je souhaite surtout interroger l’orientation que la société semble vouloir pour la psychiatrie.

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Comment donc en sommes-nous arrivés là avec l’article 84 qui restera probablement un symptôme de l’étrangeté obsessionnelle à laquelle la psychiatrie est assignée, résumée à un horodatage rigide et totalement déshumanisée. Considérant que les lecteurs de cet éditorial connaissent bien le sujet, ou que ceux qui souhaitent en savoir plus peuvent consulter le site de la Fédépsychiatrie, il est inutile de développer le détail de l’article 84, ne serait-ce que pour éviter de se faire du mal.

Mais le point d’orgue de la folie sociétale est atteint à la deuxième partie de l’article 84 quand il traite de l’article L.3211-12 du code de la santé publique. Pour en rire malgré tout, j’imagine un Guy Bedos, dans ses sketchs où il lisait l’actualité, commenter ce texte d’anthologie administrative stupéfiant : « Le patient ou, le cas échéant, le demandeur peut demander à être entendu par le juge des libertés et de la détention, auquel cas cette audition est de droit et toute demande peut être présentée oralement (2). Néanmoins, si, au vu d’un avis médical (3) motivé, des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à l’audition du patient, celui-ci est représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l’aide juridictionnelle ou commis d’office (4).
L’audition du patient ou, le cas échéant, du demandeur (5) peut être réalisée par tout moyen de télécommunication audiovisuelle (6) ou, en cas d’impossibilité avérée (7), par communication téléphonique, à condition qu’il y ait expressément consenti (8) et que ce moyen permette de s’assurer de son identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges(9). L’audition du patient ne peut être réalisée grâce à ce procédé que si un avis médical atteste que son état mental n’y fait pas obstacle (…) (10)».

Cet article, qui concentre des impossibilités très pratiques, résume l’ensemble de l’article 84 qui à chaque ligne montre que les dispositions imposées rencontrent des oppositions pratiques multiples. Au cours de ses travaux, la sous-commission de psychiatrie médico-légale de la Commission nationale de psychiatrie a pu faire état de l’impossibilité d’appliquer strictement la loi. La rédaction de ce texte montre la discordance entre la théorie et la pratique, met en évidence l’obsession d’enfermer le réel dans un carcan théorique, ce qui n’est pas étonnant quand il s’agit d’isolement et de contention… Avant d’imposer des règles, puisque gouverner c’est prévoir, l’exécutif et le législateur auraient dû s’interroger sur l’existence de moyens permettant de les appliquer. Imaginons que le législateur décide que tous les Français courent le 100 m en 9 s…. Les juristes publicistes ont un « outil juridique » qu’ils appellent la « théorie des formalités impossibles ». On suivra attentivement comment ce concept de procédures impossibles pourra être utilisé pour contester la loi.

La sous-commission de psychiatrie médico-légale de la Commission nationale de psychiatrie s’est donc vu attribuer la mission d’examiner en urgence l’article 84. Mission étrange, car dans quel but ? Quelle est sa marge de manœuvre ? Aucune en fait, car elle n’a pas de compétence pour modifier la loi, orienter l’écriture du décret d’application ou d’une instruction à venir. La loi est tellement précise qu’il n’y a guère de possibilité d’en modifier les directives. Dura lex, sed lex. La sous-commission aura eu le mérite de permettre à ses membres de professions différentes d’exprimer leurs difficultés ou impossibilités à appliquer strictement la loi pour des raisons aussi bien techniques que cliniques et à la DGOS de relever les objections.

Et pourtant, la psychiatrie s’agite, renâcle, râle, se plaint que les dispositions légales sont inapplicables. Là se retrouve le symptôme du malaise de la psychiatrie. Pourquoi n’a-t-elle pas réagi en 2016 au moment de la discussion de la loi de modernisation de notre système de santé puis à la parution des recommandations de bonne pratique (RBP) de la Haute Autorité de santé sur l’isolement et la contention en 2017 ? Évidemment les recommandations de la HAS ne sont que des recommandations, sans obligation de les appliquer strictement. Pourtant ce sont elles qui ont été retranscrites dans la loi (cf. le communiqué de la Fédépsychiatrie interrogeant le fait que la HAS était devenue une assemblée législative de la République française, mais qui n’a entraîné à nouveau aucune réaction de la profession).

Il m’est d’autant plus difficile de constater l’absence de réactions de la profession en 2017 que j’avais consacré toute la trêve des confiseurs de la fin 2016 pour faire les commentaires demandés au Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH) sur le projet de recommandations relatives à l’isolement et la contention et que la plupart des critiques que l’on constate actuellement y étaient développées. Je m’étais d’ailleurs demandé s’il fallait rendre publiques les observations du SPH. Peut-être que le moment est venu de le faire (les observations n’avaient d’ailleurs eu aucun effet sur la version finale des recommandations). Commentant la bureaucratie déjà dénoncée dans la 2e moitié du XIXe siècle et affectant le fonctionnement des asiles d’alors, Jacques Hochmann écrit en 2015 : « Que dirait aujourd’hui cet avocat déclaré du pouvoir médical devant la montée des empiètements administratifs et l’encadrement de plus en plus inquiétant des pratiques autorisées par la Haute Autorité de santé et les pouvoirs publics qui s’abritent derrière ses recommandations » (11).

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Comment en sommes-nous encore arrivés là avec cet autre étonnement : pour quelles raisons l’article 84 entraîne-t-il une telle agitation ? On pouvait penser que les RBP de la HAS étaient finalement suivies sans problème, que l’isolement et la contention étaient des pratiques marginales, comme les déclarations d’apparence semblaient le proclamer et que le renforcement de leur contrôle ne rencontrerait pas de problème.

Eh bien non, semble-t-il. Le trop grand recours aux isolements et à la contention serait-il un indicateur du délabrement matériel, idéologique et thérapeutique de la psychiatrie ou bien l’obstination déraisonnable de la maladie mentale à s’exprimer parfois de manière sévère.

« Parfois » est utilisé ci-dessus de manière précise, car en considérant, sans que les chiffres aient une précision arithmétique indiscutable, que les mesures d’isolement et de contention seraient en augmentation ces dernières années, elles ne concernent qu’une très faible proportion des 2,2 millions de patients suivis chaque année, avec une augmentation régulière des demandes de consultation qui ne risquent pas de diminuer avec les conséquences psychiques de la Covid-19.

S’il est indéniable que la psychiatrie, publique comme privée, a été négligée par les pouvoirs publics ces nombreuses dernières années, sans revendication sociétale majeure pour demander une amélioration de ses conditions d’exercice, il est regrettable que l’article 84 soit l’occasion d’en donner une image particulièrement dégradée, les médias s’intéressant plus aux trains en retard que ceux qui arrivent à l’heure. Il suffit de lire le récent article à charge de Libération (30 mars 2021) pour constater le focus exclusivement négatif porté sur la psychiatrie en annonçant un « Avis de défaillance généralisée ». Si tel était le cas, pourquoi la demande de consultation ne se tarit-elle pas ?

On peut craindre également que l’action de certains groupes de pression, très demandeurs de recours à une psychiatrie qui n’en ferait jamais assez tout en la dénonçant sans nuances, risque d’aboutir à l’inverse de ce qu’ils souhaitent. Avec la dénonciation de la contrainte en psychiatrie, des mauvais traitements dont elle est accusée (défaillance généralisée), avatar contemporain de l’antipsychiatrie, il n’est pas impossible de craindre une évolution vers un système de défense sociale, sous-médicalisé où tous les déviants et perturbateurs de l’ordre public, souffrant ou non de maladie mentale, y seraient reclus (en s’associant aussi avec la prison), pour des durées mal définies. Est-il utile de rappeler à quel point la psychiatrie est trop souvent utilisée par les pouvoirs publics pour réguler l’ordre social, y compris pour les radicalisés, surtout islamistes en ce moment, et voulue par une partie de la société quand un fait divers grave est mis sur le compte d’une personne souffrant de troubles mentaux que des psychiatres trop laxistes n’auraient pas contenue.

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Comment enfin en sommes-nous arrivés là avec les législations récentes, les représentions des politiques, l’image qu’elles donnent à la société de la psychiatrie et de la maladie mentale, la place assignée aux patients, les moyens qu’elles donnent ou ne donnent pas aux professionnels de la psychiatrie, etc.

2008 a été une année importante pour l’impulsion donnée à une psychiatrie sécuritaire. Qui ne se souvient pas du discours d’Antony au centre hospitalier Érasme le 2 décembre par le président Sarkozy (12). Il y a été annoncé un « plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques » avec le projet d’une unité fermée dans chaque établissement avec vidéosurveillance, la création de 200 chambres d’isolement et même, horresco referens de doter chaque patient en soins sans consentement d’un système de géolocalisation, heureusement non réalisé, mais Hopsyweb en est un avatar plus insidieux, car moins visible. Nicolas Sarkozy annonçait aussi la nécessité d’une surveillance hors les murs avec l’équivalent d’une « obligation de soin », c’est le terme que le président emploie annonçant les programmes de soins, mais s’inspirant nettement des systèmes de surveillance judiciaire post-carcérale des personnes délinquantes. Il convient d’ailleurs de rappeler qu’un des moments importants de la surveillance dans la cité des personnes délinquantes remonte à 10 ans auparavant avec la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs instaurant le suivi sociojudiciaire et l’injonction de soin issue de travaux de psychiatres et psychologues psychanalystes(13).

Et 2008 aura été vraiment une annus horribilis puisqu’il faut aussi faire référence à la loi de rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui prévoit après l’exécution d’une peine privative de liberté le placement en centre de rétention de sûreté d’une personne qui présente « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité ». La loi s’inscrit ensuite dans la tendance générale du législateur à s’immiscer de manière très précise dans les prescriptions médicales puisqu’elle « habilite » (article 6) le médecin à prescrire au condamné, avec son consentement écrit et renouvelé, au moins une fois par an, un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido. On voit aisément la similitude avec l’article 84, bien que finalement en 2008 c’était encore le bon temps puisque la loi parlait de prescription et non de décision…. Lors du discours d’Antony, Nicolas Sarkozy annonce aussi la loi HPST qui inaugurera le déclin de l’hôpital public et on ne peut oublier le moment d’anthologie où il évoque le chef unique qui doit diriger l’hôpital et que son propos prend une forme comique quand il s’embrouille sur le pouvoir de dire oui ou non (environ à 22 minutes de la vidéo citée) et dont on ne peut s’empêcher de penser que cette vision de la gouvernance hospitalière n’allait pas de soi et que son annonce dans la confusion ne pouvait que créer de la confusion à venir….

Et 2011 vint. Dans la précipitation de la question prioritaire de constitutionnalité, le gouvernement s’est vu dans l’obligation de mettre en conformité avec le droit européen, mais aussi notre Constitution, l’hospitalisation contrainte des patients en psychiatrie. Quel paradoxe que cette loi ! Son premier article du premier chapitre intitulé « Droits des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques » commence plutôt mal, par une formule négative et se poursuit par une objectivation de la personne et sans qu’elle soit considérée comme un sujet et un acteur de ses soins : « Une personne ne peut sans son consentement (…) faire l’objet de soins psychiatriques ». Ne serait-ce que ce premier article justifie une refonte complète de la loi qui serait bien inspirée si elle commençait par exemple par une formule de ce type : « Les soins psychiatriques relèvent du droit fondamental à la protection de la santé pour toute personne conformément à l’article L1110-1 du code de la santé publique ».

Éludons ici la réforme de 2013 montrant essentiellement l’incomplétude de la loi de 2011 et corrigeant la distancielle et froide visioconférence pour l’audience auprès du juge des libertés et de la détention passée de 15 jours à 12 jours pour en arriver à 2016. La loi de modernisation de notre système de santé rajoute un article sur l’isolement et la contention dans une loi non spécifique à la psychiatrie. Comme pour 2011, réformée en 2013, l’article de 2016 est de nouveau insatisfaisant et est réformé début 2021, tout en suscitant de nombreux mécontentements pour des motifs très différents, mais dont on peut s’attendre qu’ils soient à l’origine de plusieurs QPC, sans compter tous les litiges auprès des différents niveaux de juridictions. Ainsi en est-il du principe de répétition que la Fédération française de psychiatrie a déjà relevé dans son communiqué du 29 décembre 2020.

Et passons rapidement sur le plan national de prévention de la radicalisation présenté par le Premier ministre le 23 février 2018 qui aboutira à deux décrets en 2018 et 2019 instituant le Fichier Hopsyweb mettant en relation les personnes hospitalisées sans consentement avec le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et rendant très lisible l’utilisation de la psychiatrie à des fins sécuritaires. La psychiatrie est dotée de deux gènes, un thérapeutique et un sécuritaire, avec selon les époques un dominant, l’autre récessif. Il est indéniable que le gène sécuritaire est dominant actuellement.

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Comment enfin en sommes-nous arrivés là avec deux décisions récentes du Conseil constitutionnel à un mois d’intervalle qui pour la première valide la loi d’urgence sanitaire limitant la liberté d’aller et venir en arguant à plusieurs reprises de la protection de la santé (14) et qui pour la seconde sanctionne la psychiatrie au nom de la liberté d’aller et venir sans citer la protection de la santé (15). On aurait été en droit de penser que la deuxième décision aurait pu s’inspirer des arguments de la première. Que nenni ! Pour quelles raisons la psychiatrie est-elle à ce point déconsidérée qu’il n’est pas concevable qu’elle agisse pour la protection de la santé des personnes malades, alors qu’elle doit répondre au premier article du Code de la santé publique qui met tous les soins sous l’égide du principe constitutionnel de la protection de la santé ? Et comme pour les RBP de la HAS, personne ne soulève cette inéquité de traitement que je n’arrêterai pas de rabâcher(16). Qui défend foncièrement la discipline, sans évidemment se garder d’en souligner les manquements ? Une démarche nuancée est-elle si impossible dans ce monde craintif ?

L’article 84, symptôme d’un « sur droit » dont la psychiatrie est tout particulièrement la cible, érige des règles incompatibles avec la clinique la plus ordinaire et les réalités basiques de terrain. Il pourrait toutefois être l’opportunité, grâce à son irréalisme, d’initier une réflexion sur ce que notre société souhaite comme système de soin psychiatrique et les moyens qu’elle veut ou peut y attribuer. Cette élaboration collective exige du temps et une rigueur méthodologique. La référence proustienne au temps a inspiré Jean-Jacques Bonamour du Tartre, ancien président de la Fédération française de psychiatrie, pour le titre de son éditorial de ce mois d’avril 2021 pour la revue de l’Information psychiatrique tout en ayant la subtilité de le relier à un lien perdu(17).

Ce ne sont pas des Assises de la psychiatrie prévues dans la précipitation, non concertées avec la profession, mais dont sauront se saisir des lobbies bien placés auprès du pouvoir ultime, qui permettront d’oser regarder le conflit en face afin d’éviter une compromission condamnable comme le disait Hélène Chaigneau et de retrouver le lien perdu.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre honoraire des hôpitaux
Président sortant de la Fédépsychiatrie


  1. Ce titre reprend une question que j’avais déjà posée dans l’article La psychiatrie sous contraintes. L’information psychiatrique 2017 ; 93 (7) : 535-42 doi : 10,168 4/ipe.2017.1667
  2. Si on entre dans le détail : le patient isolé non contentionné ou isolé et contentionné demande oralement aux soignants qu’il souhaite une audience. Les infirmiers relaient la demande au médecin qui informe la direction de la demande du patient, qui elle-même relaie au JLD (délai, modalités de transmission de la demande ?).
  3. Un avis seulement, donc pas de nécessité d’un examen clinique qu’aurait exigé un certificat.
  4. Deuxième temps : si contre-indication médicale, le médecin relaie la demande à la direction tout en informant d’une contre-indication médicale dans « l’intérêt » du patient. Quels sont les critères permettant d’établir ce qui est l’intérêt d’un patient ? Qui est légitime pour parler de l’intérêt du patient ? Il faut s’attendre à des contestations de fond sur la légitimité soignante (médicale, infirmière, etc.) pour parler de l’intérêt du patient, puisque fondamentalement la psychiatrie est une discipline médicale dont il faut se défier.
  5. Heureusement pas d’avis médical pour le demandeur…
  6. Avec une caméra GoPro… et une liaison Wifi, sécurisée évidemment. Là j’imagine Guy Bedos se déchaîner…
  7. Il faudra justifier l’impossibilité avérée : pas de matériel adéquat donc défaut d’organisation de l’hôpital ; pas de professionnels sachant l’utiliser : défaut de formation, etc.
  8. Tout en étant en soins sans consentement…
  9. Il faut s’assurer de l’identité du patient, plus difficile au téléphone qu’en visio (avec la caméra GoPro), car le JLD ne le verrait pas. On peut espérer qu’à notre époque technophile, la qualité de la transmission téléphonique puisse être assurée (on a entendu grâce à Perseverance le vent sur Mars). Comment s’assurer de la confidentialité des échanges ? Comment être certain qu’un patient soupçonné de radicalisation n’est pas sous écoute téléphonique ?
  10. Et de nouveau, l’état mental de la personne doit permettre cette communication téléphonique. Si les établissements de santé, les juridictions et les patients ont réussi à aller jusqu’au bout de cette procédure, c’est qu’ils ont été dotés eux aussi d’un dispositif du type « Perseverance » ….
  11. Les antipsychiatries. Une histoire. Odile Jacob, 2015, 83-4.
  12.  https://www.dailymotion.com/video/x7lj27
  13.  Balier C, Ciavaldini A, Girard-Khayat M, Rapport de recherche sur les agresseurs sexuels, Direction générale de la Santé, juin 1997
  14.  Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020
  15.  Décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020
  16. Le détail de ces argumentations est exposé dans le mémoire de la Fédépsychiatrie : « De la liberté en psychiatrie et ailleurs »
  17. Bonamour du Tartre JJ. À la recherche du lien perdu… L’Information psychiatrique 2021 ; 97 (3) : 187-8 doi : 10,168 4/ipe.2021.2227. https://www.dropbox.com/s/xzipa5oshv1lg54/JJBT%20a_la_recherche_du_lien_perdu.pdf?dl=0
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Editorial mars 2021

Au-delà du principe de liberté
« Non » au lieu de « Oui, mais… »

Le Landerneau de la psychiatrie s’agite en ces débuts d’année 2021. La fin de l’hiver est très chaude. Il s’agit en fait de la partie restreinte (qui risque de l’être de plus en plus) de la communauté psychiatrique qui a la charge et la responsabilité de donner des soins pour les personnes souffrant le plus lourdement d’une pathologie psychiatrique, hospitalisées sans leur consentement, et qui peuvent se voir décider/prescrire une mesure d’isolement ou de contention.

L’agitation est due au fait que la communauté psychiatrique concernée est sortie de son hibernation par un article de loi de mi-décembre 2020 qui rend très complexe la « gestion » des mesures d’isolements et de contention considérées comme des formalités inapplicables telles que les nomment les juristes. Inutile de détailler ici cette situation. Le lecteur peut se référer aux nombreuses publications de la Fédépsychiatrie dans la page consacrée aux soins sans consentement sur son site : https://fedepsychiatrie.fr/missions/soins-sans-consentement/ et écrites bien en amont de la publication de la loi : la Fédépsychiatrie ne dormait pas.

La psychiatrie s’émeut d’être une discipline médicale particulièrement « surveillée » (cf. pamphlet : « Attention : vous n’êtes pas fichés ») par toutes sortes d’autorités, de lobbies, etc. Mais pourquoi s’étonner de cette surveillance ? Ne sommes-nous pas tous tracés ? Soit nous nous plaignons de cet ostracisme ; soit nous nous plaignons d’être « oubliés ».

Alors les réactions foisonnent. Les CME motionnent, les communiqués fleurissent (le printemps s’annonce). On s’alarme ; on crie à la stigmatisation ; on s’offusque du déni de la réalité de la psychiatrie ; on dénonce le manque de moyens (ce qui n’est pas faux) ; on demande un moratoire (probablement juridiquement et politiquement impossible), etc. Les pouvoirs publics, qui ont été obligés de proposer dans l’urgence un texte de loi pour répondre à l’injonction du Conseil constitutionnel de manière précipitée (mais qui auraient pu anticiper, car la question est pendante depuis des années), semblent assez mal à l’aise. On attend un décret, puis une instruction, mais de manière ambivalente : ces textes ne pourront guère alléger les contraintes de la loi, mais on espère toutefois, sans vraiment y croire, qu’ils pourraient rendre la situation plus facile.

Et l’ambivalence se rencontre aussi dans les modalités de communication. Dans un grand élan apparemment consensuel et politiquement correct, les réactions débutent le plus souvent par une déclaration enthousiaste, la main sur le cœur : « Nous sommes tellement engagés sur la réduction de l’isolement et de la contention à laquelle nous travaillons depuis des années… » suivie immédiatement d’un « mais » soulignant l’impossibilité d’appliquer des mesures exigeantes en moyens soignants, administratifs et juridiques. Sans oublier que la loi dans ces détails, au moment de sa préparation avait été approuvée par certains professionnels comme la Conférence des présidents de CME de CHS qui a publié le 17 septembre 2020 ses préconisations concernant les modifications de l’article L. 3222-5-1.

Il y a d’ailleurs tout lieu de s’étonner : avant la promulgation de la loi, il semblait que ces mesures étaient rarissimes. Comment se fait-il qu’après sa promulgation, son application soit aussi impossible ? Serait-ce que finalement, l’isolement et la contention ne seraient pas que des pratiques de dernier recours ? Et si tel était le cas, quelles en seraient les raisons ? Notamment cliniques.

Personnellement, je préfère dire « non », plutôt que l’hypocrite « oui, mais ». Si je ne peux qu’approuver la non-utilisation de l’isolement ou de la contention pour des motifs non médicaux qui subsistent encore : motifs punitifs ou de défaut d’organisation au sens large, les isolements qui sont très divers dans leurs modalités et leur durée, ainsi que plus rarement la contention (moins prescrite que les isolements) doivent avoir un objectif thérapeutique, même si j’ai bien conscience que ce positionnement n’a pas les faveurs de la bien-pensance actuelle. Les soignants ont l’obligation d’exercer leur métier pour protéger la santé des personnes sous leur responsabilité thérapeutique, ainsi l’énonce le premier article du code de la santé publique citant ce principe constitutionnel de protection de la santé ayant la même valeur juridique que celui relatif à la liberté d’aller et venir.

Dire « non », c’est s’obliger à se pencher sur le sens politique à donner à cet article 84, à la chronique des conceptions juridiques, philosophiques, sanitaires et de fonctionnement de nos démocraties. Il est tellement paradoxal que nous ne nous posions guère ces questions alors que la pandémie suscite les mêmes interrogations : protection de la santé, restriction de la liberté d’aller et venir, périmètres de prises de décision politique.

Ce dernier point est actuellement d’observation quotidienne :

  • Démocratie descendante par un pouvoir politique centralisé ;
  • Prééminence des experts ;
  • Transcription dans la loi commune de mesures d’exception qui pourraient devenir pérennes ;
  • « Fabrique du consentement » des populations en les soumettant à des mesures contraignantes facilitées par la peur de la maladie, la mort potentielle, les incertitudes liées à la physiopathologie de la Covid-19 et aux doutes sur l’efficacité des traitements ou des vaccins à long terme, et méfiance envers la « science » ;
  • Imprévisibilité (que nous redoutons toutes et tous) inhérente à cette maladie mouvante ;
  • Évolution nouvelle de la fabrique de la loi, après celle du consentement, qui s’appuie sur les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) qui deviendrait comme la Fédépsychiatrie l’a souligné dans son communiqué du 16 octobre 2020 la première Assemblée législative nationale, faisant en sorte que de simples recommandations deviennent des obligations. Il s’agit d’une question politique qui mérite un débat ; peut-être est-ce une bonne solution de confier cette mission « pseudo législative » à la HAS, mais il parait utile d’en discuter, à moins de préférer le futile à l’utile.

En fait, l’article 84 va organiser dans l’immédiat le fonctionnement des hôpitaux. Décret et instruction n’en modifieront guère le cours. Certains le trouvant trop pusillanime vont en demander la réécriture, pour que par exemple le juge des libertés et de la détention soit saisi dès la première minute d’isolement ou de contention ; d’autres demandent une loi-cadre pour l’ensemble de la psychiatrie, voire aussi de la santé mentale (mais l’accolement de ces deux notions mérite aussi un débat). Quelle que soit l’issue du cheminement de ces demandes, le quotidien va être difficile pour les hôpitaux. La tâche de la jeune Commission nationale de psychiatrie, qui a dans ses missions urgentes celle de se pencher sur l’article 84, laisse perplexe sur sa capacité à trouver des solutions ou des aménagements immédiats. En fait, comme il se doit, il faudra s’adapter(1), mieux s’organiser, optimiser les moyens et les ressources existants, sans en espérer de supplémentaires.

Au-delà du principe de liberté, il y a le principe de la protection de la santé, oublié par le Conseil constitutionnel dans sa décision de juin 2020 demandant une réforme de l’isolement et de la contention, largement exposé et commenté par la Fédération française de psychiatrie. C’est là que se situe la question politique : pourquoi un tel oubli ? La psychiatrie est-elle uniquement considérée comme l’exécutrice de lettres de cachet et donc de n’être qu’une forme autoritaire de l’exercice et de la confrontation de pouvoirs d’origines diverses, médicales, administratives, judiciaires, politiques, d’usagers et de lobbyistes ? Même si les problématiques pratiques sont actuellement suraigües, elles ne peuvent occulter des questions de fond qu’il faudra bien, à un moment ou à un autre, aborder.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président sortant de la Fédépsychiatrie


(1) Pour reprendre le titre du livre de Barbara Stiegler, aux Éditions Gallimard, collection NRF Essais, complété du sous-titre : « Sur un nouvel impératif politique » et qui situe bien les questions politiques actuelles.

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Editorial Février 2021

Article 84 : le signe pathognomonique d’un échec collectif

L’article 84 issu de la loi de financement de la sécurité sociale 2021 relatif à l’isolement et la contention fait déjà couler beaucoup d’encre avec de nombreuses réactions inquiètes de la communauté hospitalière psychiatrique qui semble découvrir l’ampleur du problème. La Fédération Française de Psychiatrie (Fédépsychiatrie) a pourtant alerté en amont et y a consacré des travaux que l’on peut retrouver sur la page de son site dédiée aux soins sans consentement, à l’isolement et à la contention : https://fedepsychiatrie.fr/missions/soins-sans-consentement/.

On peut s’étriper autour de l’importance de l’augmentation ces dernières années des mesures d’isolement ou de contention, de considérer qu’elles sont ou non des mesures thérapeutiques, des décisions et non pas des prescriptions, que leur mise en œuvre n’interroge qu’un seul des principes essentiels de notre constitution, la liberté d’aller et venir, sans prendre en considération un autre principe tout aussi important : la protection de la santé. On peut aussi s’émouvoir de l’inapplicabilité concrète des dispositions prévues pour gérer ces situations (humaines, informatiques, administratives, etc.) ; on peut s’étonner que des questions éthiques qui surgissent (le respect de la vie privée des personnes concernées, le renforcement du fichage sécuritaire) soient éludées.

Mais toutes ces interrogations ne sont que broutilles. L’article 84 est l’arbre qui cache la forêt. Il est un signe pathognomonique d’un échec collectif relatif à la psychiatrie. Les discussions autour des soins sans consentement, de l’isolement ou de la contention évitent trop souvent une analyse clinique. Elles se centrent sur certains aspects des droits des usagers et pas d’autres et prennent un formalisme juridique qui sidère les professionnels du soin. Il suffit de lire les 7 pages du projet de décret devant préciser les modalités d’application de l’isolement et la contention pour percevoir que la discipline psychiatrique n’est plus médicale, mais est sous contrôle d’un formalisme qui n’a plus rien à voir avec le soin.

Comment cela est-il possible alors que nous « bénéficions » depuis maintenant 20 ans de l’accréditation, puis de la certification des hôpitaux par la Haute Autorité de santé (HAS) qui auraient dû conduire à une amélioration de leur fonctionnement (enfin pour ceux qui y croyaient) ? Sans pouvoir ni vouloir dans cet éditorial détailler l’histoire de cet échec, référons-nous simplement au travail récent (2020) du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur les « Soins sans consentement et droits fondamentaux » qui fait un constat plutôt désastreux de la psychiatrie. La Fédépsychiatrie a fait une analyse détaillée des 67 recommandations et elle semble la seule institution à s’être livrée à ce travail précis, montrant ainsi l’importance qu’elle accorde à cette institution indépendante tout en pouvant émettre des remarques critiques et parfois un désaccord (Analyse critique du livre « Soins sans consentement et droits fondamentaux » du Contrôle général des lieux de privation de liberté ou la psychiatrie hospitalière doit-elle être interdite ?). À la lecture de cet ouvrage du CGLPL, on s’attendrait à ce que les hôpitaux psychiatriques soient partiellement fermés, et notamment que les soins sans consentement soient interdits. N’importe quelle entreprise qui aurait un bilan aussi mauvais serait la plupart du temps l’objet d’une enquête en urgence, voire serait temporairement fermée. Évidemment, on se doute bien qu’il ne pouvait en être ainsi, mais on s’attendrait au moins que l’État se sente responsable et réagisse avec des actions fortes aux remarques acerbes, mais adaptées du CGLPL. Et les certificateurs de la HAS semblent ne pas avoir pris la mesure de la situation inquiétante de l’hospitalisation en psychiatrie, dont les difficultés sont aussi à mettre en relation avec les moyens de prise en charge ambulatoire. Les parlementaires auraient pu s’émouvoir et notamment demander une commission d’enquête et pas se contenter d’émettre un rapport de plus.

Donc échec de l’État et, il faut bien le reconnaitre, aveu d’impuissance de la part des organisations professionnelles qui n’ont pu faire pousser l’État à étudier sérieusement le sujet. La demande d’une loi spécifique à la psychiatrie est demandée depuis longtemps par la profession (et le CGLPL la souhaite aussi).

Car finalement, 152 ans pour réformer en 1990 la première loi sur la psychiatrie (1838), puis accélération avec une réforme en urgence pour faire suite à une QPC en 2011, puis encore en 2013, et on continue avec 2016, première réforme de l’isolement et la contention, non satisfaisante puisqu’une nouvelle QPC oblige le Conseil constitutionnel en juin 2020 a imposé une modification de la loi. Et modification qui se fait de manière « cavalière », dans un article d’une loi dont ce n’est pas le sujet (loi de financement de la sécurité sociale 2021).

Je profite de ce rappel (et probablement de mon dernier éditorial en tant que président de la Fédération Française de Psychiatrie. Mon mandat prend fin lundi 8 février et le Dr Claude Gernez devient le nouveau président pour la période 2021-2023) pour vous faire part d’une anecdote personnelle. En 2013, je suis invité en tant que président de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire (ASPMP, société savante adhérente de la Fédépsychiatrie) avec d’autres organisations professionnelles pour donner notre avis sur une question que se pose le ministère de la Santé : Faut-il une loi spécifique pour la psychiatrie ou prendre des dispositions pour la psychiatrie dans une loi générale de la santé. On sait que c’est ce dernier choix qui a été pris et qui a donné la règlementation pour l’isolement et contention. Quand vient mon tour de m’exprimer, après de nombreux autres, j’insiste sur le fait qu’une loi spécifique serait plus adaptée étant donné que la psychiatrie est une discipline médicale qui a la redoutable responsabilité de participer à la privation de liberté de personnes pour leur prodiguer des soins (que je considère personnellement comme relevant de la fraternité/solidarité de notre devise républicaine). Le fonctionnaire qui animait la réunion me regarde alors d’un air ébahi, semblant découvrir une réalité qu’il n’avait pas pu imaginer et qui devait lui semblait farfelue puisque formulée par un psychiatre dont on sait qu’il ne peut qu’être bizarre ou hermétique. Je n’ai pu oublier ce moment, et le regard de mon interlocuteur et je n’ai pu qu’être renforcé par ce que je constatais depuis déjà bien longtemps, c’est-à-dire la difficulté de parler de la psychiatrie et de la maladie mentale.

Je dois reconnaitre être soulagé d’être en retraite un mois après la promulgation de loi du 14 décembre 2020 et de son fameux article 84, n’ayant plus à me dépêtrer dans son application, mais je regrette profondément transmettre la présidence de la commission médicale d’établissement (CME) de mon hôpital à une jeune collègue en laissant les équipes soignantes dans une situation aussi critique, et sans avoir pu tout au long d’années d’engagement et de militance, ne serait-ce qu’un peu, contribuer à l’amélioration du dispositif de soin pour le bénéfice des patients et le plaisir d’exercer la profession de soignant en psychiatrie.

Ces questions seront abordées lors de la Journée de mardi 9 février en visio : « DU CONSENTEMENT EN PSYCHIATRIE… entre idéal, éthique du soin et éthique du droit ». Vous pouvez télécharger le programme et le bulletin d’inscription sur le site. L’inscription est gratuite, mais obligatoire pour recevoir les liens pour pouvoir assister aux communications et au débat.

Le consentement, n’est pas que celui des patients, mais aussi de nous toutes et tous, face aux contraintes qui nous enserrent, d’où le titre de l’heure du débat de fin de journée : « Entre soumission et consentement » où nous devrions avoir l’honneur de la présence du Professeur Michel Lejoyeux, le président de la nouvelle commission nationale de la psychiatrie.

Jusqu’où irons-nous dans la servitude volontaire ?

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la Fédépsychiatrie

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Editorial Janvier 2021

Certitudes

L’éditorial de décembre s’intitulait : « Incertitudes certaines ». Pour ce début d’année, on peut tabler sur une certitude : l’année 2020 a été horribilis à plus d’un titre. On peut être également certains que 2021 ne sera pas encore une année « normale » où les mots de la sombre litanie « gestes barrières » : masques, distanciation sociale (pire que physique), solution hydroalcoolique, confinement, isolement s’accumulent tristement dans nos vies quotidiennes. Sans oublier les attestations diverses, les limitations de déplacement, les couvre-feux, les polémiques sur les médicaments, sur la gestion d’une crise difficile par les pouvoirs publics, les contraventions à 135 €, la limitation des réunions à un nombre limité, le distinguo produits essentiels/non essentiels, le télétravail, sans oublier les tergiversations et polémiques sur la vaccination, etc. Enfin tout ce qui est « télé » et qui éloigne a dominé notre monde, mais avec le paradoxe de nous rapprocher sur une problématique de santé publique envahissante et inquiétante.

Face à ce phénomène majeur, les « petites » préoccupations de la psychiatrie paraissent bien anodines. Et pourtant, la réforme de la législation sur l’isolement et la contention qui ne concernera que peu de personnes parmi toutes celles, très nombreuses, recourant à la psychiatrie de manière « libre », renvoie à deux principes constitutionnels : la liberté d’aller et venir et la protection de la santé. Et ces deux principes, nul n’aura pu ne pas remarquer qu’ils se retrouvent dans la gestion de la pandémie et de ses conséquences dans notre vie quotidienne.

Aussi, bien que j’aie pu radoter sur cette question depuis des mois, j’ai pu constater que la similitude des problématiques posées n’avait pas fait l’objet d’analyses largement partagées. La psychiatrie n’est pas qu’une spécialité. Elle est une discipline médicale, au même titre que la médecine et la chirurgie, tout en pouvant en spécialiser certains aspects. C’est pour cette raison que la Fédération Française de Psychiatrie (dont l’acronyme « Fédépsychiatrie », s’est substitué à celui plus imprécis de « FFP »), lors de la modification de ses statuts en 2020 a ajouté comme sous-titre : « Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent — Psychiatrie de l’adulte et de la personne âgée ». Quelle que soit la période de la vie, la psychiatrie s’intéresse à la partie de nous-mêmes, spécifique dans sa complexité : notre cerveau et nos fonctions dites « supérieures ». Et nous en redoutons tellement l’atteinte que les questions qui s’y rapportent préfèrent être déniées.

Il en est ainsi de la question de l’isolement et de la contention qui peut prendre une tournure binaire, comme notre société en est friande avec les camps des pour et des contre. Le refus collectif de penser la complexité, mais tout ayant un génie pour compliquer les organisations hospitalières crée de la paralysie. En ce début d’année, le ressentiment est important dans les hôpitaux envers les pouvoirs publics qui se sont montrés incapables d’avoir un minimum d’anticipation relative à des réformes d’envergure à mener pour la psychiatrie, et qui laissent maintenant soignants et administratifs hospitaliers inquiets.

Il est étonnant que d’importants principes essentiels qui organisent notre société et qui, à l’occasion de la pandémie alimentent d’incessants débats actuels : liberté d’aller et venir, protection de la santé, consentement — font partie du quotidien de la psychiatrie ne sont pas suffisamment élaborés au cours de nos pratiques et mis en relation avec la réalité des maladies mentales dans leur forme grave ou bien utilisés de manière déséquilibrée en fonction des argumentations.
Il en est ainsi du Conseil constitutionnel qui dans son annulation de l’article L.3222-5-1 (décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020) relatif à l’isolement et la contention relève que ces décisions médicales sont à l’origine d’une la privation de liberté d’aller et venir sans pour autant les replacer dans une perspective de protection de la santé. Et dans le même temps, la privation de la liberté d’aller et venir dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire (décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020) est argumentée à quatre reprises comme étant prise en considération de la protection de la santé. Serait-ce que la psychiatrie est une pratique médicale et soignante qui n’a rien à voir avec la santé ?

Le regard porté sur la psychiatrie de certains groupes de pression est pour le moins étrange et arrive à orienter les politiques publiques de manière importante. Les lobbies sont utiles pour faire avancer des problématiques, mais la pluralité des savoirs doit être respectée.

En 2020, et ce n’est pas fini, la pédopsychiatrie s’est aussi largement battue. Toujours dans la continuité des débats passionnels autour de l’autisme et des troubles du neurodéveloppementaux, un cahier des charges pour les CMPP élaboré par l’ARS de Nouvelle-Aquitaine pouvait conduire à un démantèlement de l’offre de soins pour les enfants avec un tri des situations relevant ou non des CMPP, avec le risque de laisser sans soins de nombreux enfants. Une intense mobilisation des professionnels et des usagers a permis un recul de ces positionnements, mais sans que la situation soit encore définitivement réglée.

Ces deux exemples, outre les questions très techniques qu’elles suscitent, interrogent sur la dynamique des politiques publiques (probablement bien au-delà de la psychiatrie). La triste évolution du Comité de pilotage de la psychiatrie, décédé très discrètement, pour être remplacé par une Commission nationale de la psychiatrie dont début janvier, on ne sait pas encore quels seront son périmètre et ses moyens de fonctionnement, illustre le piétinement, les trébuchements et les hésitations du pilotage de la psychiatrie.

Et si le consentement est également un « concept » très en vogue en ce moment, avec la vaccination anti-Covid-19, ou plus généralement sur la question binaire que nous subissons tous quand nous ouvrons une page internet : « je refuse » ou « j’accepte », et si recueillir le consentement des usagers s’impose sans discussion, il serait opportun que les professionnels soient aussi sollicités pour savoir s’ils consentent aux mesures qui leur sont imposées. Le consentement à l’impôt vacille quand la fiscalité devient inéquitable…

Je m’interroge d’ailleurs sur les conséquences de la question binaire des pages internet sur notre psychisme. Par lassitude, répondre à chaque fois « j’accepte » pourrait conduire à tout accepter. Pour ma part, je refuse systématiquement et je prends un plaisir supplémentaire quand je clique sur « Arrêter le système » quand j’éteins mon ordinateur.

On vit donc une époque formidable. Et en ce début d’année, je ne peux qu’au nom de la Fédération Française de Psychiatrie qu’espérer pour nous tous que 2021 soit meilleure que 2020. Mais peut-être ai-je tort d’exprimer un espoir, car mon pessimisme habituel ne me fait pas oublier l’apophtegme bien connu « L’espoir est un bon déjeuner, mais un mauvais dîner ».

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la Fédépsychiatrie

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2020

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Editorial Décembre 2020

La plupart des législateurs ont été des hommes bornés que le hasard a mis à la tête des autres, et qui n’ont presque consulté que leurs préjugés et leurs fantaisies. (…) Ils se sont jetés dans des détails inutiles ; ils ont donné dans les cas particuliers : ce qui marque un génie étroit qui ne voit que les choses par parties, et n’embrasse rien d’une vue générale ; (…) Il est vrai que, par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l’esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante… »
Montesquieu, Lettre persane LXXIX.

Incertitudes certaines

L’année 2020 restera dans les mémoires comme exemplaire quant au règne de l’incertitude. Principalement du fait de l’épidémie, de ses conséquences et des bouleversements, dont nombre d’entre eux dramatiques, qu’elle occasionne dans notre quotidien.

Je n’évoquerai pas pour cet éditorial les relations entre la Covid-19 et les troubles psychiatriques qu’elle peut engendrer, soit directement du fait de la pathogénicité biologique du virus, soit à cause des répercussions psychologiques indirectes qu’elle crée. Il faudra attendre quelque temps pour les recenser avec précision, d’autant plus que la méthode, dans des domaines divers, a bien manqué tout au long de ces mois. Et il serait tout à l’honneur de la psychiatrie de ne pas être contaminée par les affirmations péremptoires, rapidement démenties peu après et contribuant à la décrédibilisation de tout discours scientifique, universitaire ou de recherche. Ce mois-ci, Jean- Jacques Bonamour du Tartre livre une élégante réflexion sur la « santé mentale » à l’épreuve de la Covid-19, bien loin des raccourcis trop facilement médiatisés.
D’ailleurs, au moment où j’écris ces lignes (4 décembre 2020), la stratégie vaccinale vient d’être dévoilée par le Gouvernement, sans que les publications scientifiques n’aient été rendues publiques et analysées par les infectiologues, vaccinologues et méthodologistes compétents afin de s’en assurer de la validité. On aimerait tant que des publications sérieuses puissent conduire à une campagne vaccinale en toute confiance, signant une mobilisation sans précédent des scientifiques pour élaborer très rapidement des vaccins et une protection efficace pour la majeure partie de la population.

Donc pas plus d’épanchements sur la Covid-19, mais juste quelques remarques sur deux autres événements importants de cette fin d’année : la réforme de l’isolement/contention et la naissance d’une commission pour remplacer un comité.

24/42/84

Peut-être une combinaison gagnante d’un jeu de hasard. Il est tentant de rapprocher l’article 24 d’une loi sécuritaire avec le chiffre inversé pour la version du PLFSS 2021. L’article 42 a doublé en devenant l’article 84. Il est relatif à l’isolement et à la contention en psychiatrie. S’il n’est pas invalidé par le Conseil constitutionnel comme étant un cavalier législatif, il devra s’appliquer au plus tard le 1er janvier 2021 et probablement avec difficulté par les hôpitaux psychiatriques. S’il est retoqué, la situation ne sera pas plus confortable, car l’isolement et la contention en psychiatrie ne seront plus encadrés par le droit. Quelles conséquences ?
Il n’est pas question de discuter ici des détails de l’article ou de la place de l’isolement et de la contention dans les soins, la Fédépsychiatrie a déjà commis plusieurs dossiers argumentés sur ce sujet ou émis des communiqués évoquant notamment la main tremblante du législateur, sauf pour au moins s’inquiéter du difficile paramétrage des dossiers patients informatisés dans un délai court pour en assurer la traçabilité fiable et sans trop de manipulations bureautiques.
Non, il faut principalement retenir que, comme ce le fut en 2011, la présente réforme se fait dans la précipitation et surtout sur un point très précis de la pratique psychiatrique hospitalière, peu utilisé quand on considère l’ensemble des actes psychiatriques, mais crucial dans ce qu’il mobilise (contrainte ; liberté d’aller et venir ; protection de la santé).
Il aurait fallu pouvoir aborder la question de l’isolement et de la contention dans le cadre d’une loi globale sur la psychiatrie et la santé mentale, car il n’y a pas que l’isolement et la contention qui nécessitent de profondes modifications, notamment dans les soins sous contrainte (lesdits périls imminents, la présence des tiers, la place du préfet, les programmes de soins, etc.).
Les réformes du financement et des autorisations auront une répercussion aussi très importante sur l’organisation et la « philosophie » des soins et y faire allusion me permet une transition toute trouvée.

Le comité de pilotage de la psychiatrie est mort, vive la Commission nationale de la psychiatrie

Katia Julienne, la directrice de la DGOS a annoncé le 3 décembre la création d’une Commission nationale de la psychiatrie en remplacement du Comité de pilotage de la psychiatrie créé en 2017 dont elle assurait la coprésidence avec le Pr Pierre Thomas, après une première coprésidence assurée par le Dr Yvan Halimi.
Plusieurs facteurs ont contribué au flottement du fonctionnement du Comité de pilotage, dont un manque de structuration qui est apparu progressivement comme un handicap. Pourtant, certains ateliers du Copil ont bien travaillé, mais les productions faites n’ont pu être valorisées et rendues opérationnelles, principalement par manque de structuration.
Outre ces failles méthodologiques, une confusion est apparue avec la nomination du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie qui a conduit à une désaffection de nombreux membres du Copil, sans oublier une forme de coup de grâce qu’a pu donner la crise sanitaire.
Il s’en est suivi des formes de travail indispensables sur deux sujets importants et urgents du moment — la crise sanitaire et la réforme de l’isolement/contention — qui n’ont pu faire l’objet d’élaborations collectives.
La Commission nationale de la psychiatrie est donc née, sans qu’au moment de l’écriture de cet éditorial, soit connu le périmètre de sa mission, sa composition, son fonctionnement envisagé, les moyens qui lui seront attribués, etc.
Il faut surtout espérer qu’elle gardera un fonctionnement opérationnel et qu’elle ne sera pas une lourde machine, voire une simple chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs, ce qui commençait à être parfois reproché au Copil dans le crépuscule de sa vie.
Décembre est un peu tôt pour émettre des vœux ; disons qu’il s’agit d’une préfiguration de vœux.
Bonne fin d’année à toutes et tous, si possible !

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la Fédépsychiatrie

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Editorial Novembre 2020

Jean-Jacques Bonamour du Tartre, président sortant de la Fédépsychiatrie, nous livre dans l’éditorial de ce mois de novembre, son inquiétude quant à l’absence de débat ou, pire la violence de brefs échanges (qu’on ne peut qualifier de débats) sur certains sujets, comme l’autisme ou l’isolement ou la contention qu’il évoque précisément.
La situation sanitaire renforce les tensions et les parlementaires sont les premiers à demander plus de débats avec l’exécutif pour gérer la crise sanitaire. Mais dans un domaine qui concerne précisément la psychiatrie, un lieu d’échanges, de travail, d’élaboration semble être mort dans l’indifférence la plus totale : le Comité de pilotage de la psychiatrie.
Même si son fonctionnement, sa méthodologie nécessitaient des améliorations, il eût été heureux d’en maintenir l’existence. Maintenant, la conjonction de la pandémie et la perspective de l’élection présidentielle permettent d’augurer que la psychiatrie ne sera pas une priorité pour les pouvoirs publics dans les mois à venir.
La Fédépsychiatrie, quant à elle, ne baisse pas les bras et continue ses travaux de recherche en suivant attentivement l’actualité. Vous pourrez ainsi trouver sur son site, dans la rubrique « soins sans consentement, isolement et contention » une actualisation de son mémoire sur ce sujet.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la Fédépsychiatrie

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Autisme, isolement et contention, feuille de route, etc. : il n’y a pas de débat à avoir…

Jean-Jacques Bonamour du Tartre
Past-président

Ainsi parait de plus en plus se profiler une certaine forme de communication, prétendant à la caducité de toute élaboration ou délibération : car la Vérité est installée, ici ou ailleurs, dans un temple accrédité par le pouvoir ou une certaine vox populi.

Que ce soit la Haute Autorité de santé, en ce qui concerne l’autisme, ou l’Organisation des Nations Unies en ce qui concerne les mesures d’isolement et de contention en psychiatrie, nombreux sont ceux qui considèrent que le discours émis par ces « autorités » ne souffre plus la moindre interrogation : circulez, il n’y a plus rien à penser, place à l’invective et à la disqualification sans nuance de tous ceux qui tenteraient de soulever un coin de doute…

Et si besoin, l’arme du droit est dégainée sans hésitation, conduisant au procès au moins moral des semeurs de trouble, qui auront eu l’audace de pointer quelques insuffisances, de relever certaines contradictions, ou encore de réintroduire simplement une certaine dialectique de pensée…

Par ailleurs, on ne peut pas dire que la consistance du débat soit ni souvent ni beaucoup soutenue par nos pouvoirs publics, rompus à l’exercice de la concertation de façade, laissant volontiers l’impression que les temps de discussion n’ont été aménagés que pour donner les apparences d’une élaboration collective, pour des mesures ou projets déjà quasiment aboutis quand ils sont portés devant les divers partenaires (cf. les conditions d’élaboration de la feuille de route pour la psychiatrie de notre précédent ministère de la santé, par exemple ou dernièrement le texte du PFLSS sur les conditions de recours à l’isolement ou la contention…).

D’où peut-être ce sentiment croissant de vanité de l’action politique ou syndicale, sans doute à l’origine d’un déclin inexorable de leur investissement par les professionnels ou les simples citoyens, et le manque évident de relais générationnel pour ces pratiques pourtant riches de potentialités dans une organisation sociétale.

D’où peut-être aussi une certaine désespérance devant l’évolution de nos mœurs, sans doute un peu dramatisée ces temps-ci par une actualité des plus violentes, avec ses effets de miroir : peut-on condamner sans sourciller certains intégrismes quand on laisse dans le même temps libre cours à l’outrance dans tout commentaire ou critique, quand on ne donne aucune limite à la surenchère ? De la violence de propos à la violence des actes, le pas peut être vite franchi si l’on n’y prend pas garde, et c’est notre responsabilité de citoyen de nous en soucier.

Sans doute y a-t-il eu des insuffisances dans l’approche de l’autisme, sans doute y a-t-il eu des violences superflues dans des soins sans consentement à certaines personnes ; mais notre époque parait d’une naïveté désarmante quand elle imagine efficace et suffisant de lancer une alerte ou de promulguer un texte pour résoudre des problèmes ardus et complexes.

Nous continuerons malgré tout à soutenir ce travail de pensée qui est la seule source d’un possible progrès, sans nous arrêter ni nous laisser distraire : les pratiques de la psychiatrie ont été et restent éminemment critiquables, à l’évidence, mais le souci éthique n’a pas disparu de ce champ, pourtant miné par des processus délétères de restriction matérielle et d’appauvrissement culturel.

Et c’est l’honneur de la plupart des organisations professionnelles scientifiques et autres de continuer à y travailler, avec la patience et la rigueur nécessaires.

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Editorial Octobre 2020

Un dernier trimestre 2020 chargé

Comme convenu dans l’éditorial de septembre, pas d’acte 5 pour la tragédie Covid-19 pour ce mois d’octobre. Il faudra en attendre le dénouement pour l’écrire, tout en étant attentif au maintien de l’offre de soins auprès des patients. Sans pouvoir présager l’état sanitaire à venir, la tendance des services de psychiatrie est de vouloir préserver la continuité des soins sans renoncer dans la mesure du possible à toute l’offre thérapeutique habituelle qu’elle soit du secteur privé, public ou médico-social. Il semble aussi que la médecine et la chirurgie partagent les mêmes objectifs, afin que les soins hors Covid ne soient pas négligés et afin d’éviter des effets indésirables en délaissant les soins indispensables.

Pour la psychiatrie, si l’on met de côté les préoccupations liées à la Covid-19, un sujet la concerne très précisément, même s’il ne s’adresse qu’à une minorité de patients au regard des plus de deux millions de personnes qui s’adressent régulièrement en psychiatrie et majoritairement en ambulatoire. Il s’agit évidemment de la réforme des modalités d’isolement et de contention pour faire suite à l’annulation de la règlementation en cours par le Conseil constitutionnel au mois de juin. La réforme doit être achevée avant le 1er janvier 2021, date à laquelle, l’article L.3222-5-1 du code de la santé publique relatif à ces modalités sera illégal.

Le Gouvernement a peu de temps pour écrire cette réforme complexe. Complexe juridiquement et aux conséquences assez imprévisibles sur le fonctionnement des hôpitaux psychiatriques. Il aurait au moins fallu une concertation élargie pour coconstruire une réforme acceptable et opérationnelle. Le recours officiel au Comité de pilotage de la psychiatrie aurait été un outil souhaitable. Tel n’a pas été le cas, ce qui a conduit certaines organisations à refuser des concertations à géométrie variable. Un dossier sur ce sujet est consultable sur le site de la Fédération : https://fedepsychiatrie.fr/missions/soins-sans-consentement.

Par ailleurs, la Fédération Française de Psychiatrie a modifié en septembre ses statuts en abandonnant la référence CNPP (conseil national professionnel de psychiatrie) pour faire suite au décret du 9 janvier 2019 qui individualise les conseils nationaux professionnels. Toutefois, la Fédération Française de Psychiatrie est un des membres du nouveau CNPP. La Fédération a également ajouté un sous-titre à son nom pour mieux préciser son domaine d’intervention : « Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent – Psychiatrie de l’adulte et de la personne âgée » et a modifié son acronyme pour être plus explicite : exit donc « FFP » pour « Fédépsychiatrie ».

Enfin, la Fédépsychiatrie est attristée par le décès de deux de ses anciens présidents : le Professeur Philippe Mazet, décédé le 13 juillet, président en 1995 et le Docteur Jean Garrabé, décédé le 13 septembre et président en 1996. La Fédépsychiatrie adresse à ses proches tout son soutien ému. Une page à leur mémoire est ouverte sur le site et toute personne le souhaitant peut y déposer un témoignage : https://fedepsychiatrie.fr/la-federation/dhier-a-demain.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la Fédépsychiatrie

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Editorial Septembre 2020

Acte 4
La mise en abyme

Si l’on retient qu’une tragédie est composée de cinq actes, dans le quatrième acte, l’action est considérée comme bien engagée avec peu de chance d’un renversement de situation. Il semble que dans l’acte que nous vivons en ce début du mois de septembre, si le renversement de situation paraît peu prévisible, la confusion soit certaine et embrouille les esprits.

Les rebondissements sont incessants :

* – Port du masque en intérieur puis en extérieur, mais pas partout, en entreprises, mais pas dans toutes les situations ;
* – Décisions juridiques variables ;
* – Désirs inapplicables : Tester, tester, tester oui, sans discrimination pertinente (tout le monde et pas préférentiellement devant des signes d’appel), mais embolisation des laboratoires, et allongement de plus en plus important des délais pour obtenir les résultats rendant aléatoire la phase d’isolement/confinement ;
* – Opportunités commerciales : masques en tissu stylisés (mais au pouvoir filtrant bien modeste), dispositifs de « stérilisation » des clients à l’entrée des magasins, distributeurs de solution hydroalcoolique, etc. ;
* – Confinement : Quatorzaine puis septaine ;
* – Quelles modalités du confinement ou de l’autoconfinement : arrêts de travail ?
* – Chronique des recherches vaccinales et qui promet d’être une source d’importantes péripéties et de controverses pour le plus grand bonheur des complotistes ;
* – Prises de positions politiques « farfelues » par le monde ;
* – Bal des médecins masqués ou non dans les médias aux propos peu concordants ;
* – Informations abondantes, mais souvent imprécises : par exemple le nombre des « clusters », mot mystérieux, car savant, pour de bien nombreuses personnes et de ce fait inquiétant, progressivement remplacé par « foyers ». Remplacement opportun, car l’épidémie semblerait flamber. Mais imprécision donc sur ces foyers : nombre de personnes par foyer, séropositivité découverte par dépistage systématique ou sur des signes d’appel infectieux, et positivité symptomatique ou asymptomatique et si symptomatique avec quel degré de sévérité ?
* – Etc.

Ce coronavirus semble donc vraiment avoir un neurotropisme, touchant aussi bien les cognitions froides que chaudes…

La mise en abyme

Mais laissons les acteurs et les décors principaux pour évoquer une histoire dans l’histoire. La psychiatrie, ses usagers comme ses professionnels, est prise dans une tourmente qui n’est pas sans rapport avec celle de l’épidémie. J’ai déjà évoqué ce point. L’épidémie nous interpelle tous sur le principe de la liberté d’aller et venir et de sa mise en relation avec la protection de la santé. Ces deux principes constitutionnels structurent fondamentalement notre société et les écrits du comité scientifique de la Fédération Française de la Psychiatrie, cités à la fin de cet éditorial développent précisément ces points.

La décision du Conseil constitutionnel annulant les dispositions législatives relatives à l’isolement et la contention et imposant modification de la loi au plus tard le 31 décembre 2020, met le gouvernement face à une réforme complexe dans un temps restreint et dans le contexte tendu de la pandémie, disons-le sans détour : une gageure. Et le risque est grand d’une insuffisante concertation de tous les acteurs., sans compter le plus grave : donner une image sombre de la psychiatrie et le risque de voir les médecins se détourner de sa pratique et tout particulièrement pour protéger la santé des personnes souffrant des pathologies psychiatriques les plus graves. Parlons sans ambages : quand la psychiatrie recourt (exceptionnellement) à des contentions pour des situations gravissimes, on l’accuse de « torture ». Hôpital psychiatrique et Guantanamo même combat ! Si l’on suit les recommandations sévères du Contrôle général des lieux de privation de liberté relatives aux soins sans consentement, il faudrait « interdire » la psychiatrie, au moins dans sa gestion des soins sans consentement. Le comité scientifique de la Fédération Française de Psychiatrie a produit une analyse critique de ces recommandations et interroge le ministère de la Santé sur ses intentions par rapport au constat du Contrôle général des lieux de privation de liberté.

Si la Fédération Française de Psychiatrie a réagi de manière argumentée à l’analyse du Contrôle général des lieux de privation de liberté en contestant son regard globalement négatif sur la psychiatrie, elle n’en a pas moins manifesté par son communiqué de presse du 25 août de son étonnement de ne pas voir le remplacement d’Adeline Hazan à son départ mi-juillet. La double réaction de la Fédération Française de Psychiatrie manifeste ainsi son attachement à des concertations élargies sur des sujets aussi importants et regrette que le ministère de la Santé n’en soit pas à l’initiative.

La discussion autour des soins sans consentement, de l’isolement et de la contention ne repose pas que sur des arguments médicaux ou scientifiques, mais sur des considérations idéologiques. Leur pertinence est intéressante, mais ces positionnements théoriques et juridiques sont en décalage avec la réalité clinique. Le risque, qui n’est pas à écarter, est de voir la psychiatrie exclue du soin aux pathologies les plus graves au profit d’une défense sociale aux objectifs éloignés de l’insertion et de l’habilitation sociale, mais centrée sur la mise à l’écart sécuritaire et l’abandon du principe constitutionnel de protection de la santé.

La Fédération Française de Psychiatrie s’implique dans ce débat. Une rubrique « Soins sans consentement, isolement et contention » est ouverte sur le site. Vous y trouverez les contributions de la Fédération Française de Psychiatrie et notamment l’exposé des positionnements idéologiques (Mémoire sur les soins sans consentement, l’isolement et la contention en considération des droits fondamentaux des usagers de la psychiatrie et dans la perspective d’une réforme des lois régissant la psychiatrie) ou de l’analyse de recommandations du Contrôle général des lieux de privations de liberté sur les soins sans consentement évoquée supra. La rubrique sera alimentée par les réactions ou les contributions qui paraîtront sur ce sujet, même si elles ne sont pas partagées par la Fédération Française de Psychiatrie.

Par ailleurs, en ce mois de septembre 2020, la Fédération Française de Psychiatrie tient une assemblée générale extraordinaire pour modifier ses statuts, abandonner la référence au CNPP « conseil national professionnel de psychiatrie » pour faire suite au décret n° 2019-17 du 9 janvier 2019 qui institue les conseils nationaux professionnels des professions de santé. La Fédération Française de Psychiatrie est un membre important du nouveau CNPP.

Enfin, si les tragédies ont souvent cinq actes, il faudra attendre le dénouement de la tragédie Covid-19 pour publier le cinquième acte, mais comme nous l’aurons tous écrit, tout en en étant les acteurs, il sera plus adapté de se limiter à en faire une analyse critique.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la FFP

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Editorial Août 2020

C’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce pour que cela démarre (…).
Après, on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul (…).
Dans le drame, on se débat parce qu’on espère en sortir.
C’est ignoble, c’est utilitaire.
Jean Anouilh. Antigone.

Acte 3 : Tragédie ou drame
Le masque et la verbalisation

Le déconfinement est un nouvel acte de la pièce en cours. Mais est-ce une tragédie ou un drame ?

Les commentaires sont allés bon train pour espérer un Nouveau Monde. Il y avait une overdose de naïveté à croire en un Nouveau Monde changeant notamment les règles du jeu économique ou le management du système de santé, pour ne citer que quelques thèmes dont la révolution pandémique allait accoucher. Mais qui peut reprocher cet excès d’optimisme dans un moment critique déroutant ?

Ce moment est-il tragique ou dramatique ? Dans l’acte du déconfinement, le masque est l’instrument qui focalise les passions. Il n’est pas de ma compétence d’avoir un avis sur l’utilité du masque en tant qu’outil efficace de précaution ou de prévention, mais d’interroger son influence sur le Nouveau Monde où si, finalement, il n’en est pas le stigmate pathognomonique. Qu’en est-il de la pièce mondiale en cours ?

Les acteurs

Un chœur d’abord. Celui qui sur toutes les ondes alimente, commente l’histoire collective, anime les débats. Et à chaque fois, un journaliste coryphée qui donne sa coloration à l’actualité changeante du jour.

Parmi les acteurs de premier plan, voilà le dirigeant politique, celui dont on attend, redoute ou espère les décisions qui vont sauver le monde. Lui, il est multiple, on le voit, on l’entend. Il met en scène sa présence de manière subtile, parfois omniprésente ou distillant soigneusement ses apparitions, avec plus ou moins de magnificence. Le chœur ne manquera pas de commenter, développer, interpréter avec délectation chaque mot, chaque phrase, chaque silence, chaque hésitation.

Mais l’acteur le plus doué est l’agent pathogène, celui dont il ne faut pas prononcer le nom pour ne pas lui donner l’importance qu’on lui attribue. Un agent sournois, pervers, qui non seulement peut donner une maladie, mais pire peut infecter sans symptôme et permettre ainsi de se répandre insidieusement. Chacun devient suspect. Même les petits enfants, un temps considérés comme peu transmetteurs deviennent au fil des connaissances supposées, des super contaminateurs, que le chœur, s’il souhaite faire le buzz devrait les appeler (comme certains adultes) des « serial coviders ». Ainsi la pseudo innocence enfantine devient celle qui contamine, révélant une vérité infectieuse qui sort de la bouche non masquée des enfants. Un scénario digne de films d’horreur ou le monstre tueur est un enfant, si mignon dans son apparence.

Un autre acteur principal est composé des sachants, proposant des solutions ou pronostiquant un avenir sombre, d’éventuelles vagues à venir, conseillant le prince et tenant rôle d’oracle, tel un Tirésias contemporain.

Et que dire des acteurs secondaires ? Parmi ceux-ci, on ne peut manquer celui ou ceux qui promeuvent la solution miracle, la panacée qui va sauver le monde. Un monde qui prend fait et cause avec toute la passion suscitée par la peur, sans pour autant refuser en proportion non négligeable dans l’avenir un éventuel vaccin efficace.

Parmi les acteurs secondaires, n’oublions pas la multitude des figurants qui s’adaptent comme ils peuvent, en fonction du contexte où ils évoluent, de leur rôle dans la société, des consignes souvent disparates qu’ils reçoivent. Commerçants, hôteliers, prestataires de services multiples jouent une partition fragmentée, où leur avenir professionnel se joue, sans perspective heureuse.

Et il y a nous tous. Chacun de nous avec ses doutes, ses appréhensions, ses incertitudes ou ses certitudes qui peuvent être à l’origine de tensions plus ou moins vives, voire violentes, au risque de confrontations sociales, d’autant plus qu’elles s’alimentent aux informations contradictoires et évoluant en fonction du niveau de (mé)connaissances. Et comme l’époque n’est pas complaisante envers les « élites », qu’elles soient politiques ou scientifiques, la méfiance et le complotisme ne peuvent que prospérer.

Enfin décors, accessoires et costumes sont les ingrédients indispensables pour une pièce réussie. Le décor oscille entre rues ou spectacles noirs de monde, forêts ou plages désertiques qui de nouveau vont faire le bonheur du Chœur qui déplore inconscience ou incohérence.

Parmi les accessoires ayant fait fureur, la palme revient aux attestations de déplacement et leurs utilisations obsessionnelles puis aux tests faussement rassurants (négatifs un jour, mais pas négatifs toujours, avec le risque de faussement rassurer par une séronégativité temporaire qui peut se convertir en séropositivité le lendemain, mais qui pourrait faire abandonner d’autres mesures de précaution en se croyant non contaminé).

Mais le costume d’abord manquant, à usage initialement sélectif puis souhaité, puis rendu progressivement obligatoire est évidemment le masque. Passons sur leur efficacité variable selon leur fabrication, ou sur leur utilisation anarchique et inadéquate qui irrite le médecin qui en a rappelé les règles de bon usage dans les services hospitaliers au début de l’épidémie ou encore l’utilisation mercantile et son évolution en accessoire de mode, l’essentiel est de s’interroger sur les conséquences de ces usages.

Une pandémie : une occasion de discipliner une population

Inutile et de toute façon impossible de contester l’utilité médicale des restrictions, prises conformément aux principes de précaution/prévention qui dominent notre époque. Mais il reste possible et nécessaire de contester l’envahissement de nos esprits et de notre vie quotidienne par cette situation qui flirte avec le harcèlement.

Quelles seront les conséquences de la mise en ordre sécuritaire de toute une population qui a appris à restreindre ses déplacements, remplir consciencieusement ses attestations et maintenant porter un masque bientôt en toutes circonstances ? Les politiques ont, grâce à la pandémie, une occasion inespérée pour discipliner les foules, contribuer à l’amoindrissement continue et inexorable du secret médical, favoriser la traçabilité des populations, leur vidéosurveillance et leur soumission aux obligations de toute sorte. Certes, il existe des oppositions naissantes au port du masque, s’appuyant sur une critique de la restriction à la liberté qu’il implique. Le psychiatre, étant malheureusement parfois obligé de restreindre la liberté d’aller et de venir de ses patients pour protéger leur santé et étant donc lui-même non libre de prescrire autrement qu’une mesure de restriction de liberté (en dernier recours…), a bien conscience de l’utilité de restreindre temporairement et le plus temporairement possible les libertés pour protéger la santé.

Mais le psychiatre ne peut s’empêcher de s’interroger sur la généralisation de notions comme la distanciation sociale (heureusement amoindrie par celle de distanciation physique) ou le port systématique de masques. Peut-on concevoir toute une population masquée ? Je suis surpris de voir l’absence d’interrogations sur ce Nouveau Monde masqué. S’il faut s’interroger sur un monde d’avant et un monde d’après, la seule certitude est l’émergence d’un monde masqué et quelque peu ridicule avec ses masques parfois en forme de becs de canard.

Il y a (encore heureusement) « Le masque et la plume », mais voilà qu’apparaissent, quelle horreur, le masque et la verbalisation. Que les mots peuvent apporter leur lot d’étrangetés ! Le masque entrave la verbalisation (reconnaissons qu’il n’est pas très facile de s’exprimer avec un masque) et tout à la fois il la facilite, sur le mode pénal, s’il n’est pas porté dans les situations obligées.

S’il n’est pas de la compétence du psychiatre de discuter l’efficacité du masque, il peut au moins espérer que nous ne mutions pas en une espèce masquée. La République aime le visage découvert et identifiable, mais l’Ancien Régime n’appréciait pas non plus le masque (cf. tableau ci-dessous). Souhaitons très ardemment qu’une fois le danger écarté, le pouvoir politique n’hésitera pas à promouvoir l’abandon du masque, tout en espérant que nous aurons appris à l’utiliser plus sélectivement (et spontanément, sans obligations officielles) en cas d’infections respiratoires saisonnières. La question demeure de l’évolution de cette situation et de sa qualification de tragique ou de dramatique.

7 janvier 1505 : Le Parlement de Paris interdit les masques « pour éviter les inconvénients qui pourraient advenir à l’occasion d’aucun monmon desguisez de masques, a defendu à tous faiseurs de masques que doresnavant ils ne facent ne vendent aucunes masques publicquement ne autrement et à tous de quelques estat ou condicion qu’ils soient de ne porter ou jouer au dit monmon en masque sous peine de prison ».

25 avril 1514 : Arrêt du Parlement de Paris défendant à tous Marchands de plus vendre ou tenir masques, & même à Paris ou au Palais. La Cour… « ordonne que tous les dits faux visages, appelez masques, et choses impudiques qui seront trouvées exposées en vente tant dedans ce palais que dans ceste ville de Paris seront prinses réaumont et de faict et brulées publiquement ».

27 novembre 1535 : Ordonnance prohibant la fabrication et la vente des masques.
O tempora, o mores : L’interdiction légale des masques au XVIe siècle.

Tragédie, drame, ou…

Comme le chante le chœur dans l’Antigone d’Anouilh, dans la tragédie tout est simple, ça roule tout seul. Le destin est là qui fixe des règles que les humains ne peuvent changer et dont parfois ils ne comprennent pas le sens. La pandémie suit ainsi son cours inexorable, avec son lot d’incertitudes scientifiques, du peu de prise sur son déroulement. Il est aisé de trouver des similitudes entre les thèmes tragiques et notre actualité, comme celles du pouvoir politique qui décide, et prend des mesures brutales dignes de celles de Créon révulsant Antigone : les impossibles obsèques des personnes âgées décédées en début d’épidémie ou la question de la décision : la médecine ou le politique. Dans l’Antigone de Sophocle, Tirésias tente d’infléchir Créon, en faisant d’ailleurs valoir l’opinion publique. Il y réussit d’ailleurs, mais trop tard, le mal est fait : la tragédie a suivi son cours inexorable. Si la tragédie est notre lot actuel, nous pouvons être bien inquiets et c’est probablement ce sentiment d’inquiétude, du peu d’influence des efforts humains, souvent contradictoires, erratiques, paraissant peu rationnels sur le cours des choses qui renforce l’angoisse collective et la soumission à des contraintes fortes sans questionnement approfondi.

Si le drame domine, l’espoir est davantage possible. Les bons et les méchants s’opposent. L’histoire s’écrit en fonction des rapports de force. Les scénarii peuvent être multiples, et même si le drame apportera son lot de misères, de morts, de tristesses, de conflits, avec lui « on se débat parce qu’on espère en sortir » (Anouilh).

… ou commedia dell’arte

Un peu facile, l’allusion à la commedia dell’arte grâce au masque. Mais il n’y pas que le masque dans ce genre théâtral. L’improvisation y est importante, le recours aux thèmes dramatiques et souvent d’actualité, très changeants en sont des caractéristiques. Le « Ségur » est un exemple d’introduction dans la pièce d’un élément d’actualité. De nouveaux acteurs ont tenté d’y jouer un rôle : collectifs de soignants, syndicats, personnes spécialement mis au-devant de la scène, et toujours le Chœur pour en commenter allègrement le déroulement, et sans masques, pourtant dans des lieux clos. En somme, une tentative collective d’influer sur le destin. Sans grand effet, puisque le Nouveau Monde se cantonne à n’être nouveau que parce qu’il est masqué. La Fédération Française Psychiatrie s’est d’ailleurs associée à cette déception en cosignant un communiqué : la montagne a accouché d’une souris. Et pourtant, ce Ségur a été qualifié d’historique…

Comme dans la commedia dell’arte, nous avons eu nos personnages excentriques et même sans masques leurs positionnements étaient leurs masques et permettaient aux spectateurs que nous sommes d’identifier leur rôle. Et nous en sommes tous les acteurs masqués maintenant.

Et voilà…

Et voilà – c’est ainsi que le Chœur introduit sa conclusion dans l’Antigone d’Anouilh et qui se poursuit par : « Sans la petite Antigone, c’est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles » et l’on peut substituer « la petite Antigone » par « le petit virus ».

Et donc voilà. Pourquoi vous demandez-vous peut-être cet éditorial de la FFP qui s’inscrit dans la continuité de ceux de mai et juin ? Parce que j’ai un besoin personnel de prendre de la distance avec l’envahissement quotidien par le coronavirus et les recommandations officielles. Pourtant la FFP y participe et contribue à la réflexion nationale, que ce soit au sein de la cellule Covid-19 psy de la DGOS ou d’autres sollicitations de recherche comme celle animée par le Pr Yazdanpanah sur la coordination de la recherche sur la persistance et la survenue de complications de Covid-19 et attentif aux conséquences psychiatriques de l’infection ou de celle du Pr Catherine Leport infectiologue INSERM/ Haut Conseil de la santé publique sur une recherche sur les séquelles Covid.

Il est toutefois nécessaire de prendre un peu de distance, surtout quand on souffre de prosopomphobie (masque se dit prósôpon, πρόσωπον en grec ancien) et que l’on a aucune intention de se faire soigner, que ce soit par des techniques d’immersion (maux vaut éviter les lieux où le port des masques est obligatoire ou recommandé), de déconditionnement ou psychanalytiques. Le vrai traitement sera la disparition des masques dans la sphère publique quand ils s’avèreront inutiles et que nous retrouverons nos vrais visages, nos expressions, nos émotions, notre spontanéité, etc. Je ne partage pas l’optimisme d’un professeur d’anthropologie qui considère le masque comme une recommandation anthropologique, permettant de se remémorer une peur salutaire. Il est aussi distanciation, parfois indifférenciée et hostile et aussi un enjeu politique.

Espérons que la tragédie s’effacera devant un drame heureusement résolu, bien que comme l’écrit George Steiner dans son époustouflant et ravissant livre savant et poétique consacrée aux Antigones (Folio Essais) : « On imagine, on pense, on vit dès à présent de nouvelles « Antigones » : et cela continuera demain ».

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la FFP

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Editorial Juillet 2020

Le « Ségur » va se terminer, mais évitera-t-il la catastrophe ? Celle-ci concerne évidemment en premier toutes les victimes et leur entourage de la létalité du virus, mais on ne peut éluder les autres types de catastrophes qui affectent des centaines de milliers de personnes dans leur vie personnelle ou professionnelle.
Marc Bétremieux, le président du SPH, illustre le moment très particulier que vit l’humanité à partir de la notion de catastrophe développée par Walter Benjamin. À la citation du philosophe qui est au fronton de son texte, on peut en ajouter une autre : « Les puissances de la technique auraient pris l’avantage non seulement sur les hommes, mais aussi sur les structures de leur pensée ». Les tentations fleurissent déjà pour promouvoir les techniques de distanciation physique favorisant la distanciation sociale. Il faut s’en méfier comme le dit Marc Bétremieux. Mais on peut aussi changer un mot dans la citation précédente, celui de technique par administration….
Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la FFP

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Psychiatrie publique, catastrophe et soins

Dr Marc Bétremieux, Président du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux

« Que les choses continuent comme avant voilà la catastrophe »
Walter Benjamin*

Contrairement à un nombre de spécialités hospitalières qui ont dû dans le cadre de la crise Covid 19, limiter voire stopper leur activité, les équipes de la psychiatrie publique ont poursuivi leur activité principale de soins ambulatoires, maintenu les hospitalisations, créé des unités dédiées Covid, dès la mise en place du confinement et ont multiplié d’autres modalités et outils de prises en charge complémentaires (voir retour expérience Lettre SPH n° 18).

Cela a été possible grâce à leur approche territoriale et sectorielle des soins.

C’est bien la réelle connaissance des besoins de la population par les diagnostics territoriaux des projets de santé mentale et des communautés psychiatriques de territoire, conjuguée à l’opérationnalité des concepts de la politique de secteur que sont les démarches d’accompagnements et de soins « allant vers » les patients et leur entourage, qui a permis le maintien des liens thérapeutiques vers une population d’autant plus vulnérable dans ce contexte.

C’est en nous adaptant dès le début sur ce socle que nous avons pu développer des modalités nouvelles d’interventions thérapeutiques en nous appuyant sur des outils de télétravail et surtout en amplifiant les modalités ordinaires de la pratique sectorielle que sont les visites à domicile.

En contradiction totale avec la vision de la commission parlementaire de septembre 2019 qui dépeignait la psychiatrie comme « catastrophique, dysfonctionnant, inefficiente, inefficace et au bord de l’implosion », nous avons assisté ces derniers mois à l’engagement des équipes, malgré toutes ces attaques, dans le maintien d’un soin humanisé, en continuité et au plus proche.

Le succès de l’approche sectorielle en psychiatrie est manifeste si l’on rappelle les indicateurs de l’ATIH avec plus de 2,1 millions de patients bénéficiant de soins et 21,3 millions d’actes de soins ambulatoires.

La « dynamique de transformation et d’ouverture », chère à nos gouvernants et leur feuille de route, est bien au cœur du patrimoine génétique de la psychiatrie publique forte de son adaptabilité, de sa réactivité et de sa créativité.

Spontanément sur tout le territoire, et avec l’appui des sociétés savantes comme la Société de l’Information Psychiatrique ou la Fédération Française de Psychiatrie et de syndicats comme le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, les équipes ont expérimenté et formalisé l’utilisation de nouvelles pratiques et l’appui sur de nouvelles technologies.

Les consultations par téléphone et les téléconsultations ont permis le maintien de liens avec l’ensemble des patients des files actives, mais aussi de proposer écoute et soutien dans cette période traumatique pour toute la population via des cellules médico psychologiques.Des initiatives fortes et médiatisées au niveau national et international comme celle de la SIP vers les enfants via des bandes dessinées et dessins animés : « le coronavirus expliqué par ton pédopsychiatre » sont remarquables.

L’expérience de télétravail dans cette période nous montre l’intérêt pour le maintien du lien, mais la limite apparait très vite comme outil de médiation psychothérapeutique dans une continuité.

La feuille de route « santé mentale et psychiatrie » qualifiée comme très riche nous avait affligés par son indigence. Publiée en juin 2018, pour faire suite aux mouvements sociaux de la psychiatrie publique, la ministre y vantait les mérites de « la pleine conscience » ou d’innovations techniques qui, l’air de rien, permettaient d’économiser le coût d’un recours aux traitements médicamenteux ou aux psychothérapies !

La mobilisation récente et l’appui sur certaines technologies ne doivent pas faire oublier que notre discipline est une médecine de la personne, que la psychothérapie nécessite la présence à l’autre et que les soins psychiques passent par aussi le corporel.

Le vécu professionnel récent des soignants en télétravail montre très vite un risque de perte de sens lié à l’utilisation unique en période de confinement de ces outils technologiques, des effets de fatigue et d’atteinte à l’identité professionnelle. On pourrait tenter une analogie des impacts de ces technologies sur le psychisme de soignants et peut être aussi de certains patients, avec le contexte économico politique dans lequel l’épidémie s’est développée.
Orietta Ombrosi dans son article sur les concepts de technique et de catastrophe chez Walter Benjamin écrit :
« … d’une part, la première technique se relierait à la catastrophe destructive due à la domination de la nature et à l’asservissement de l’homme jusqu’au sacrifice de sa chair ; de l’autre, la deuxième technique serait la clef de voûte pour la révolution délivrant l’individu de la condition de masse et lui ouvrant, en tant qu’individu, de nouveaux possibles. ».

Le maintien et le développement de modalités de soins en présentiel montrent tous les jours leur intérêt primordial en psychiatrie, elles seront complétées éventuellement par d’autres médiations.

Références bibliographiques
La Lettre du SPH, no 18, mai 2020
« Le coronavirus expliqué par ton pédopsychiatre » sip.sphweb.fr
Ombrosi, Orietta « La dialectique de l’idée de catastrophe dans la pensée de W. Benjamin », Archives de Philosophie, vol. 69, no. 2, 2006, pp. 263-284.

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Editorial Juin 2020

Acte 2 : De la distanciation sociale et des gestes-barrières

En peu de temps, des mots ou des expressions nouvelles sont entrés dans notre vocabulaire : coronavirus évidemment, Covid-19 (qui sera peut-être une vedette pour mots de passe), masques, FFP2, tests PCR et horresco referens « distanciation sociale », et « gestes (ou mesures) barrières ».

L’adjectif « sociale » accolé à distanciation a été progressivement perçu comme n’étant pas particulièrement heureux et est souvent remplacé par (distanciation) « physique ». Il n’empêche que le mal est en quelque sorte fait. En très peu de temps sont apparus la mise à distance d’autrui, la peur de l’autre, les gestes « barrières », les masques rapidement récupérés comme objet tendance, voire de luxe font déjà l’objet d’un commerce lucratif, en espérant qu’il ne sera que de courte durée, sans compter que l’on peut craindre le lynchage de ceux qui n’en porteront pas (même sur une plage ou dans une forêt déserte). On peut s’attendre, après généralisation des tests, de voir fleurir les passeports d’immunité qui permettraient l’accès à différentes situations. La prise de température s’inscrit déjà comme une mesure de tri, d’exclusion comme si elle était pathognomonique du Covid-19. L’un d’entre nous à la FFP, le professeur Michel Botbol, la qualifie très justement et opportunément de mesure douanière, permettant ou non l’accès à tel ou tel lieu. Autant de données personnelles et médicales qu’entreprises, commerces, moyens de transport (avion) imposeront sans logique scientifique et sans le consentement des personnes. Il est vrai que la question du consentement, bien que très médiatisée, notamment dans la vie sexuelle, devient purement formelle. Nous sommes tous habitués à donner notre consentement sur internet, puisque la RGPD l’exige formellement, mais que nous le donnons sans en lire les conséquences, d’autant plus que le consentement peut se décliner sous de si nombreuses modalités que nous ne nous épuisons plus à les lire (cf. avis n° 130 du Comité Consultatif National d’Éthique/CCNE).

La distanciation sociale dans les soins psychiatriques a été aussi très présente. Pas de permissions et pas de visites pour les patients hospitalisés, créant un éloignement douloureux de leur famille. Les solutions de remplacement, télé et visio consultations plus ou moins utilisées ont pu suppléer et éviter une rupture totale de communication, mais on voit bien qu’à l’heure du déconfinement, les patients (comme de nombreux soignants) ont eu leur surdose de ces techniques et demandent un retour à un échange relationnel humain présentiel. Il est probable que dans l’avenir, pour des raisons pas toujours avouables, les soignants soient incités à poursuivre ces modes de consultation.

Est-ce si rétrograde de considérer que le soin psychiatrique commence par une rencontre présentielle ? Il faut malheureusement préciser maintenant « présentiel » ou « distantiel » quand on parle d’une rencontre. Voici encore de nouvelles expressions pour évoquer la situation où deux personnes se parlent, et que l’une va utiliser cette rencontre pour créer une ambiance relationnelle rassurante tout en menant son évaluation diagnostique dans la perspective de proposer un traitement (au sens large) et que l’autre va jauger la confiance qu’il peut accorder à son soignant et le niveau de confidences qu’il pourra lui faire ?

L’angoisse du déconfinement

Le déconfinement pourra être un moment anxieux pour certaines personnes.

Personnellement, il l’est quand j’imagine voir des milliers de visages masqués, cachant sourire, tristesse ou colère, enfin toute manifestation de nos émotions si humaines. C’est très différent d’Anonymous, qui certes cache le visage, avec un masque identique, mais exprime un désaccord, alors que dans le cas présent, il s’agit d’un « consentement » collectif à une contrainte de l’État pour le bien présumé de tous. Question politique essentielle qui fait que certains se demandent si nous ne risquons pas de nous diriger vers une dictature sanitaire, puisque devant l’urgence sanitaire, la réponse sécuritaire n’est jamais loin.

Professionnellement, le déconfinement sera probablement complexe. Des demandes imprévisibles, peut-être nouvelles et inédites, s’ajouteront aux anciennes, que ce soit en psychiatrie de l’adulte ou de l’enfant, ne serait-ce qu’avec les complexités et les impossibilités du retour sur le chemin de l’école avec une forme d’enfermement étrange, dans un référentiel encerclant, comme la FFP l’a fait remarquer
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La chronique chaotique des masques apporte chaque jour son lot de nouveautés depuis le début de l’épidémie. Les « alternatifs » pourront être assortis à l’habillement, dont on peut se demander comment on pourra les supporter sous la chaleur estivale et comment chacun, en fonction de ses moyens, les utilisera et les lavera. Et les modestes masques chirurgicaux usagers, sorte de préservatifs faciaux à usage (normalement) unique, commenceraient à joncher les rues, tristes déchets, pourtant tellement recherchés un temps, mais négligemment jetés dans l’espace public, interrogeant sur le sens à donner à ces comportements aussi peu civiques.

Les débats sur les dépistages vont nous mobiliser pendant des mois. Ne voit-on pas poindre la tentation de les utiliser comme contrôle de la population, avec des projets de passeports sanitaires, avatar du livret ouvrier généralisé par Napoléon 1er afin de contrôler les horaires et les déplacements des ouvriers ? Et au début du XIXe siècle, les autorités ne disposaient pas de notre arsenal numérique contemporain qui permet également le « contact-tracing » pour identifier les contacts proches d’un cas confirmé de coronavirus.

Quelle place la psychiatrie doit-elle avoir dans la pandémie ? Mes propos critiques sur les gestes-barrières et la distanciation sociale ne doivent pas être compris comme un rejet généralisé de ces mesures, mais comme une interrogation sur leurs usages et généralisations inadaptés et sur les conséquences individuelles et collectives que ces mesures impliquent dans nos interrelations humaines à venir. La psychiatrie est en quelque sorte bigénique : elle a un gène thérapeutique et un gène sécuritaire. À tour de rôle, selon les époques, les lieux, les personnes, l’un ou l’autre est dominant ou récessif. Il ne faudrait pas que les angoisses actuelles lui fassent prendre un tournant sécuritaire très dominant, étouffant le récessif gène thérapeutique. Ce sont ces tendances sécuritaires qui peuvent créer des réticences à des reprises de visites ou de permissions ou de mettre des conditions draconiennes pour les admissions.

Il convient de trouver le juste équilibre médical entre bénéfices et risques. Le déséquilibre dans un établissement est le symptôme des dysfonctionnements institutionnels d’un hôpital. La crise actuelle pourra activer ou révéler ces problématiques de gouvernance hospitalière dont l’aggravation a été considérable depuis la loi HPST qui a affaibli la place des médecins à l’hôpital.

Tout cela devrait changer, nous promet-on. « Paroles, paroles, rien que des mots », disait une chanson des années 70…

Tragédie contemporaine

Je confie mon pessimisme en évoquant un certain doute sur les belles paroles parfois prononcées sur le monde nouveau à venir. Une forme de tragique en action et en plusieurs actes. L’acte 1 serait la période de l’incubation avant la déclaration de l’épidémie en Chine. Une incubation pas vraiment silencieuse si on fait référence aux agitations du monde de la santé : que ce soient les manifestations en psychiatrie, dont les grèves de la faim, ou la grève des urgences, symptômes graves du malaise du monde de la santé et si un dépistage avait été possible, aucun faux-négatif n’aurait été constaté. L’acte 2, la période de préconfinement. L’épidémie apparait alors lointaine, puis se rapproche lentement et enfin enfle, grandit à vue d’œil comme la calomnie du Barbier de Séville. L’acte 3, c’est le confinement, sorte de couvre-feu incontournable puisque nous serions en guerre, dramatisation politique, permettant de déclarer un état d’urgence, alors qu’il s’agit plus d’une catastrophe écologique qu’une guerre entre humains. Il n’y aura d’ailleurs ni déclaration de guerre, ni armistice ou signature d’un traité de paix. Mais pour un personnage politique, une guerre permet une forme de maîtrise sur un destin (fatum), lui donne l’impression d’avoir la main sur les affaires de la πόλις, l’autorise à designer quels seront les héros de la pièce à se voir décerner des médailles, tandis que le chœur, sous sa version populaire, applaudit tous les soirs et que le chœur sous sa version médiatique anime le déroulement tragique, commente les grands thèmes (nombre de morts, de nouveaux malades hospitalisés ou admis en réanimation, guéris), les attise, comme les rivalités de métropoles analogiquement comparées à celles de grands clubs de football, et suscite l’angoisse en pointant les incertitudes et contradictions scientifiques sur les traitements, les tests, les pronostics, etc. Et cela marche. Le clivage de la population autour des traitements, du soutien ou non de tel ou tel scientifique reproduisent la passion de supporters pour leur équipe sportive préférée, permettant comme mécanisme de défense de lutter contre l’angoisse de mort.

L’angoisse, moteur important de la tragédie vision kierkegaardienne, permet une réflexion sur des évolutions contemporaines de la psychiatrie. La réhabilitation psychosociale (RPS) est à la mode. L’État, aux tendances lyssenkistes pour imposer une science officielle, semble préférer dans les programmes de RPC, les outils de remédiation cognitive portant sur les « cognitions froides » (langage, mémoire, raisonnement, attention, perception, etc.), au détriment des « cognitions chaudes » (affects, émotions, pulsions ou instinct) trop polluées par des références possibles à l’inconscient, voire, quelle horreur, à la psychanalyse. Et pourtant, la pandémie devrait nous inciter à admettre comment cognitions froides et chaudes sont intriquées, sous la forme de la pulsion épistémophilique qui nous pousse à apprendre, à étudier, à nous interroger à la fois avec la rigueur du raisonnement tout en tenant compte de nos motivations inconscientes. Au lieu d’opposer les hypothèses et de se battre autour, la situation pandémique actuelle, la question médicale inhérente à la maladie, les décisions politiques et sociales mises en place, les répercussions complexes, parfois douloureuses (chômage, faillites, deuils, etc.), mais parfois innovantes (la créativité a été notable ces dernières semaines) sont tout autant de sujets intellectuellement passionnants qui méritent une approche attentive.

Les tragédies parlent des valeurs auxquelles une société, voire l’humanité peuvent être attachées. Les questions éthiques, voire déontologiques les traversent. Les semaines passées ont mis à l’épreuve bien des principes. Confidentialité, secret médical, paraissent des valeurs de plus en plus ringardes, individualistes, égoïstes, confrontées à l’intérêt collectif et à la promotion de la technicité (les applications pour smartphone fleurissent). La prudence et la prise en compte des propos tenus par les médecins relatifs aux traitements en application des articles 13 et 14 du code de déontologie médicale et R.4127-13 et 14 du code de la santé publique ont été balayés face à un présumé devoir d’alerte pour promouvoir un traitement non encore validé, semant le doute, la confusion et même une forme de violence parmi la population. Les rituels dus aux personnes décédées et un dernier salut par leurs proches ont été empêchés. Conflit entre les ordres de l’État et les valeurs de l’intime familial. Légitimité contre légalité ? Une thématique bien tragique. La liberté d’aller et venir, la confusion isolement/confinement évoquées dans l’acte 1 de l’éditorial du mois de mai sont aussi des thématiques éthiques incontournables, mais la réflexion éthique s’est avérée souvent sidérée dans les hôpitaux par la quotidienneté ou les conflits institutionnels évoqués plus haut et dont la presse s’est fait l’écho. Liberté d’aller et venir interrogée pour tout le monde, plus particulièrement en psychiatrie, mais aussi en prison qui nécessiterait à elle seule un développement, comme si plus les contextes se spécifiaient plus les problèmes éthiques se s’amplifiaient, comme pour les EPHAD également.

Les actes 2 et 3 de notre tragédie en action et partagée ont démontré toute l’importance du passionnel, des émotions, des peurs, de l’angoisse, rendant la démarche rationnelle inaudible, d’autant plus que certaines décisions politiques, censées reposées sur une démarche pertinente, ne le semblaient pas vraiment. Il faudra tenir compte de l’importance tenue par les « cognitions chaudes » dans les actes 2 et 3, et qu’elles continueront à tenir dans l’acte 4 du déconfinement. Si on les oublie dans l’acte 5 qui devrait sinon conclure, au moins ponctuer la tragédie, il y a tout lieu de penser que le monde d’après sera comme celui du monde d’avant, sauf à penser que l’espoir qu’il n’en soit pas ainsi ne peut être que le produit d’une pensée bien naïve…

À moins d’envisager que « Dans la tragédie antique, le héros subit sa destinée fatale, alors que dans le théâtre moderne, tout repose sur ses propres actions » (George Steiner, Les Antigones, folio essais, p.61), et en considérant que le héros (ordinaire) c’est nous tous et pas seulement ceux désignés par certains. La question de notre destinée (fatale) dépendra de nos actions collectives, pour la FFP de ses composantes syndicales et de ses sociétés savantes, ou comme l’exprime le manifeste des soignants adressé au président de la République et qui propose pour « Le jour d’après » 12 grandes mesures.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la FFP

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Editorial Mai 2020

De la 19e Province au Covid-19

Mais quel rapport entre la 19e Province et le Covid-19, si ce n’est le chiffre 19 ? Avant de faire le lien, rappelons que la « 19e Province » est rentrée dans nos vies lors de la guerre du Golfe. Pour Saddam Hussein, le Koweït était la 19e Province d’Irak dont le pays avait été spolié des années auparavant par les Anglais, car elle avait d’importantes réserves pétrolières. Au moment des faits, pas un Français qui ne connaissait tout de la 19e Province alors qu’en même temps, il aurait été bien incapable de donner les dates de début et de fin des cinq Républiques françaises (hormis évidemment, la date de fin de la 5e).

Ainsi en est-il du lien entre 19e Province et le Covid-19. Tout le monde a son avis sur l’épidémie, sa contagiosité, sa gravité, sur les différents masques, leurs différences, leurs qualités respectives, sur les trafics supposés dont ils auraient été l’objet, sur l’incompétence de l’État quant à leur gestion et ne parlons pas des traitements et des disputes à leur égard qui ne relèveraient que de l’opposition ridicule entre les vendus à l’establishment contre le chercheur libre, lanceur d’alerte, sans se soucier de la rigueur habituelle et des contraintes de la recherche médicale, mais tout en se retournant dès que possible contre ceux qui auraient autorisé un traitement s’il avait eu des conséquences graves.

Vérité, mensonges, trahison, incompétence, obscurantisme, manque d’audace pour les nouveaux traitements, mépris pour la rigueur de la démarche scientifique et de la validation des études, autant de thèmes colonisant notre quotidien depuis le début de l’épidémie, mais aussi biopouvoir envahissant qui aurait ravi Michel Foucault, et qui est un vrai sujet « politique » vraiment intéressant. Qui doit détenir un pouvoir de décision : le conseil scientifique Covid-19 ou l’exécutif ?

Et étrangement, alors que la liberté d’aller et venir est entravée pour tous, ce principe constitutionnel restreint au profit d’un autre, la protection de la santé, aurait dû inspirer les professionnels de la psychiatrie et leurs usagers pour alimenter les réflexions collectives et interroger les pratiques psychiatriques. Tel n’a pas été vraiment le cas, ou tout du moins, espérons-le, uniquement car nous sommes tous pris dans le feu de l’action. Comme pour beaucoup de faits inhérents à cette situation exceptionnelle, les commentaires et analyses viendront certainement après-coup. Pourtant, les confusions entre confinement et isolement sont très présentes en ce moment en psychiatrie. Quelles mesures préventives faut-il prendre lors de l’hospitalisation d’un patient ? Faut-il créer un sas, faut-il un temps d’observation (de durée variable selon les hôpitaux) laissant le patient confiné (enfermé ?) en l’absence de signes cliniques évocateurs de Covid, sans oublier que toute fièvre, toux ou rhinite seraient devenues des signes pathognomoniques de Covid, excluant toute autre pathologie virale ou bactérienne. La psychiatrie a connu dans son passé la psychose unique (Enheitspsychose des Allemands au 19e siècle) et notre époque découvrirait-elle la virose unique ? Il faut bien reconnaitre que les autorités sanitaires n’ont guère aidé ou conseillé la psychiatrie hospitalière sur ce point, comme pour les unités Covid. Il en sera probablement de même pour le déconfinement. Il faut heureusement admettre que malgré les hésitations, les doutes et les méconnaissances collectives, la psychiatrie a su s’organiser rapidement en s’appuyant sur ses dispositifs de soin habituels pourtant en souffrance depuis des décennies.

Ces réorganisations ont-elles été suffisantes ? L’avenir le dira, mais dès maintenant, on peut considérer que les moyens de téléphonie ou de téléconsultations ont été certes nécessaires, mais adaptés uniquement à l’urgence et certainement pas suffisants. Si la distanciation physique ne semble contestée par personne, la distanciation sociale n’est guère compatible avec la vie humaine qui nécessite présence et proximité sociale et tout particulièrement dans les soins psychiatriques. Les patients expriment de plus en plus le besoin de reprendre les activités thérapeutiques, et le manque permet de constater à quel point les activités de groupe sont importantes pour les patients qui ressentent le besoin de se retrouver entre eux et de retrouver leurs soignants. Parmi ceux qui ne l’éprouvent pas, certains risquent de se replier, de s’isoler et de voir leurs pathologies s’aggraver. La période de déconfinement est pour l’instant redoutée, d’autant plus que les mesures de précaution risquent encore de ralentir la reprise de l’offre de soins pendant un temps indéterminé.

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Donc, tout le monde a un avis sur tout. Il en est ainsi du monde du jour d’après qui permettrait de corriger les erreurs passées et la construction d’un Nouveau Monde lumineux. Le 11 mai, comme grand jour révolutionnaire grâce au Covid, nouvel allié des luttes sociales, qui donne naissance à une Internationale de la fraternité mondiale face à un ennemi universel et insidieux.

Il faudrait être bien naïf pour croire que les vieux démons seraient terrassés par le Covid, d’autant plus que les adeptes de la pensée complotiste croient qu’il aurait été créé par de perfides ennemis, étrangers le plus souvent, mais aussi parfois par des ennemis de l’intérieur (un prestigieux Institut français), pour d’obscurs intérêts. Sans avoir la prétention de savoir quel sera le monde post-pandémique, tout en se doutant que les dotations budgétaires insuffisantes du monde d’avant ne risquent pas d’enfler après les dépenses occasionnées par l’épidémie, il est déjà possible de constater des indices même discrets de permanence du vieux monde.

Ainsi au début de l’épidémie, le Conseil d’État a définitivement et opportunément validé Hopsyweb qui permet d’établir des correspondances entre les personnes hospitalisées sans consentement en psychiatrie avec le fichier de signalement pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) sans entrainer de réactions dans les médias, mobilisés par l’épidémie. La FFP, qui s’était associée aux organisations professionnelles ayant juridiquement contesté les décrets, ne baisse pas les bras et participe à un projet de livre pluridisciplinaire sur les questions sociétales que pose ce fichier. Comme les posent d’ailleurs tous les fichiers, car on constate qu’avec le Covid, le traçage est d’actualité, interpellant les limites du secret médical, mais au risque d’être plébiscité et accepté par une large partie de la population au nom de la santé publique, comme le décrit précisément et de manière inquiétante un article du Monde diplomatique de ce joli mois de mai : « Urgence sanitaire, réponse sécuritaire ».

Autre sujet, moins spécifique, mais symptomatique des impératifs financiers, le ministère de la Santé a annoncé la suspension des travaux sur le financement de la psychiatrie, pourtant engagés depuis des mois, entrainant une réaction immédiate de seize organisations professionnelles à laquelle la FFP s’est associée.

La gouvernance hospitalière a aussi été mise à mal pendant la crise, oubliant qu’il était plus qu’utile dans les situations difficiles de mener une concertation nécessaire plutôt que de décider dans des comités ultra restreints et même pour des décisions importantes pouvant conduire à des restructurations avec fermeture de lits. Dans des zones géographiques où la psychiatrie est particulièrement en difficulté, il est difficilement compréhensible de voir des directions d’hôpitaux attaquer le statut des praticiens hospitaliers, comme en Guadeloupe qui semble vouloir se saborder.

On le voit, la tâche va être ardue dans les mois et années à venir, d’autant plus que rien ne garantit contre la survenue d’autres catastrophes imprévisibles. Comment les fractures sociétales, pourtant très présentes, mais trop souvent occultées, vont-elles pouvoir être réduites après que nos sociétés auront été fragilisées ?

La Fédération Française de Psychiatrie ne manquera pas tout au long de ses actions, contributions, comme sa recommandation sur le déconfinement, et de ses éditoriaux ouverts à toutes ses composantes, sociétés savantes et syndicats, d’en rendre compte avec toute la diversité qu’elles représentent.

Dr Michel DAVID
Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux
Président de la FFP

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Editorial Avril 2020

PSYCHIATRIE OUBLIÉE ?

Quand l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire rédigeait l’éditorial du mois précédent, bien que quelques signes annonciateurs obscurcissaient déjà le paysage sanitaire, elle ne se doutait pas que les 27e Journées des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire qui devaient se tenir à Cherbourg du 6 au 8 avril allaient être annulées du fait d’une pandémie qui serait alors à son apogée. Toutefois, au temps de la mise en ligne de l’éditorial, l’annulation devenait de plus en plus probable. C’est donc fait. L’intitulé de ces journées : « Psychiatrie enfermée, Psychiatrie obligée, Psychiatrie oubliée, mais Psychiatrie libérée ? » comportait une allusion à une « Psychiatrie oubliée ». Telle a été bien la situation au début de cette pandémie. Il a fallu attendre l’intervention quotidienne du professeur Salomon, directeur général de la santé, jeudi 2 avril pour que la « filière santé mentale » soit enfin citée.

Entre temps, les professionnels de la psychiatrie ont accueilli avec une certaine irritation les consignes et recommandations relatives au Covid-19 pour les services de psychiatrie du 22 mars ou celle de la HAS pour la prise en charge des patients souffrant de pathologies psychiatriques en situation de confinement à leur domicile du 1er avril, ayant largement anticipé les recommandations officielles, faisant ainsi la démonstration d’une organisation territoriale et clinique éprouvée et capable d’adaptation rapide, bien que le dispositif soit régulièrement  largement décrié et sans nuances.

Ce n’est pas, et cela vaut aussi pour les organisations MCO, qu’une adaptation à l’urgence est faisable qu’il faut oublier les situations préalables de dénonciation des difficultés du service public de santé. Après la pandémie, et sans que l’on puisse avoir une idée précise de sa fin à l’heure de l’écriture de ces lignes début avril, sera-t-on capable d’une discussion raisonnée sur les besoins en santé sans retomber dans les arguties du monde d’avant. On peut craindre que non. Déjà, commence-t-on à entendre que si sur ces trois premières semaines de confinement, la psychiatrie a réussi à s’organiser, en mettant du personnel en réserves, pour faire face éventuellement aux arrêts de travail pour maladie, peut-être n’a-t-elle pas autant besoin de personnels et que du fait d’une diminution transitoire des hospitalisations pourra-t-on continuer à diminuer ses lits, d’autant plus que si pour l’instant les patients semblent peu demandeurs, ne serait-ce pas qu’ils peuvent être autonomes (emporwerment généralisé) ? L’exemple de la polémique autour de la suppression des 174 lits et des 598 postes au CHRU de Nancy annoncée en pleine épidémie n’est pas non plus pour rassurer.

Pour l’instant, ai-je écrit, car demain et après-demain, la situation peut évaluer rapidement. La première semaine de confinement a été relativement calme. Sidération collective. La deuxième voit poindre un frémissement anxieux de la part des patients. Les enfants s’agitent à domicile et supportent mal le confinement. L’addictologie observe des alcoolisations importantes à domicile et arrivant aux urgences. Les difficultés en approvisionnement de toxiques font craindre des sevrages aigus (notamment en prison) et les suivis téléphoniques en psychiatrie adulte constatent une tension croissante. La troisième semaine confirme nettement cette tendance et que les ponts téléphoniques ne suffiront pas dans toutes les circonstances.

Parallèlement les services de psychiatrie, avant d’y avoir été incités par leur ARS préférée, commencent à imaginer des unités Covid+. À noter d’ailleurs à propos su Covid+ que dans notre quotidien surgissent brutalement ces mots nouveaux qui deviennent une obsession envahissante journalière (FFP2), ainsi que des expressions originales : gestes ou mesures barrières, distanciation sociale… Il s’ensuit des initiatives impulsives pour fabriquer des masques de manière artisanale sans souci initial de leur réelle qualité protectrice. Pour les unités Covid+, comme pour la « gestion » des masques et de l’angoisse des équipes, chacun se débrouille comme il peut : unités spécifiques ou non, avec des secteurs de confinement (on ne parle plus d’isolement), avec ou sans consentement, temps d’observation variable, sans directives nationales précises qui seraient pourtant bien utiles, etc.

La « folie » de la situation peut parfois prendre des tours comiques, comme lorsque les juges des libertés et de la détention suppriment les audiences du 12e jour pour les soins sans consentement et demandent aux psychiatres de faire des (faux) certificats médicaux en attestant une contre-indication psychiatrique à la comparution à une audience qui n’existe plus par le fait des magistrats. Le CGLPL a justement dénoncé cette situation : « Les médecins ne doivent pas conforter les pratiques des juges en faisant des certificats de contre-indication à la présentation de patients devant le juge alors que l’état clinique le permet ». Étrangeté de ces situations d’urgence où l’on demande une démarche illégale aux psychiatres alors qu’en d’autres temps (« normaux »), ils sont repris sur des détails de procédure. Il faudra aussi tenir compte de ces exceptions par la suite. Pourra-t-on imaginer (mais sans grande illusion) que le contrôle juridique soit absolument maintenu quand une personne est privée de sa liberté d’aller et venir pour la protection de sa santé, mais en simplifiant les procédures ?

Selon les lieux, des difficultés spécifiques peuvent survenir. Par exemple, le milieu pénitentiaire avec un décalage de traitement entre les personnels soignants et pénitentiaires. Ceux-là pouvaient être dotés de masques et ceux-ci non, pouvant réactiver des conflits entre les deux catégories de personnels. On a vu aussi des velléités administratives de forcer des hospitalisations en SDRE en SMPR pour éviter des hospitalisations dans les hôpitaux psychiatriques, ce qui est illégal. Pour ces deux situations, une intervention auprès du Délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie a pu dénouer positivement les situations. 

Pour poursuivre sur la rubrique juridique, on ne peut passer sous silence, bien que celui domine malheureusement à cause du coronavirus, que le judicieux Conseil d’État a rejeté tous les recours contre le décret Hopsyweb, validant ainsi un lien indéniable entre les patients hospitalisés sans leur consentement et la radicalisation. Il est notable de constater que le Conseil d’État valide en ce moment de nombreuses décisions remarquables de l’exécutif : la prolongation de la détention provisoire sans juge (le Monde) ou rejette  les référés des associations qui demandaient la réquisition des moyens de production de médicaments et matériel (Le Monde). Il est vrai que le Conseil d’État est une institution qui trouve ses origines dans l’Ancien régime et qui est présidé par un vice-président qui ne peut occuper un poste de président laissé vacant en mémoire de son occupation antérieure par le chef d’État ou une autorité politique. La lutte contre Hopsyweb, juridiquement épuisée, doit maintenant se tenir sur le registre intellectuel, culturel, citoyen, politique etc. en mobilisant toutes les personnes concernées : professionnels comme usagers.

Et puisqu’il s’agit de « lutte », il me faut évoquer une crainte. Le chef de l’État a dit que nous étions en guerre, il l’a martelé. Attendons-nous à l’effort de reconstruction d’après-guerre. Le gouvernement ne manquera pas de dire que l’effort de guerre a été très coûteux. Même avant la guerre, les finances manquaient pour le système de santé, comment pourrait-il en être autrement après toutes les dépenses que la guerre aura occasionnées. Le choix de ce terme n’est pas neutre ; de nombreux commentateurs l’ont critiqué et c’est une façon insidieuse de préparer les esprits. En fait, il aurait été plus opportun de parler de lutte. Monsieur le Président de la République, savez-vous que dans les hôpitaux il existe des comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN), sous-commission de la commission médicale d’établissement ? Souvent peu actifs dans les hôpitaux psychiatriques, les CLIN trouvent toute leur place dans la crise actuelle. Lutter contre un virus ou un agent infectieux est le quotidien des soignants et même quand votre guerre sera terminée, la lutte contre eux, incessante, continuera, mais exigera les moyens nécessaires aux actions de prévention et de soins, et pas uniquement pour les infections.

Enfin, on constate partout en psychiatrie, qu’elle soit hospitalière, libérale ou intervenant dans le secteur médico-social ou social, que les soignants sont attentifs aux évolutions cliniques qu’ils constatent pendant cette épidémie et notamment depuis le confinement. Ces observations et ces adaptations cliniques, voire thérapeutiques, outre l’aspect d’aide à dépasser les angoisses du moment, vont apporter une mine d’informations. Elles vont faire évoluer des pratiques et être la source d’innovations, comme l’a montré la Société de l’Information psychiatrique (SIP) et sa bande dessinée pour les enfants qui a connu un large succès « Pas le coronavirus ». Il faudra faire le tri dans ces constats et par exemple ne pas promouvoir à l’excès certaines innovations technologiques, notamment excluant les contacts humains, promouvant une distanciation sociale définitive, ou organisant le tracking des populations et poursuivant l’effondrement de l’intimité et la poursuite de la disparition de la confidentialité des soins.

Si la psychiatrie est souvent oubliée des Pouvoirs publics, il faut compter sur elle pour se faire rappeler à l’esprit des décideurs. La Fédération Française de Psychiatrie contribuera avec de nombreux autres acteurs à cette réflexion collective, que ce soit dans des organisations en cours comme le Comité de pilotage de la psychiatrie ou dans la production scientifique des sociétés savantes qui la composent et de sa participation au conseil national professionnel de psychiatrie (CNPP).

Dr Michel DAVID

Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux

Président de la FFP

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Editorial Mars 2020

ASPMP pour la FFP

L’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire est la dernière association ayant adhéré, en 2019, à la FFP. Les professionnels de la psychiatrie exerçant en prison considèrent que la psychiatrie en milieu pénitentiaire n’est pas une psychiatrie à part, mais est une psychiatrie à part entière. Il paraissait ainsi évident à l’ASPMP de rejoindre la FFP et l’éditorial de ce mois vient à point pour annoncer les 27e Journées des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire qui vont se tenir en avril à Cherbourg avec comme objectif d’insister sur l’unité de la discipline psychiatrie et l’importance d’intégrer les personnes détenues, et plus largement placées sous main de justice dans un parcours unitaire, bien que rencontrant des voies multiples. Et quoi de plus explicite que le titre de ces journées pour explorer l’ensemble de la psychiatrie : « Psychiatrie enfermée, Psychiatrie obligée, Psychiatrie oubliée, mais Psychiatrie libérée ? » (https://fedepsychiatrie.fr/manifestation/27e-journee-des-secteurs-de-psychiatrie-au-milieu-penitentiaire/)

Dr Michel DAVID

Psychiatre/pédopsychiatre des Hôpitaux

Président de la FFP

L’Association des Secteurs de Psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) est créée en 1986, année de la création règlementaire du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire.

Elle a pour but d’aider au développement de la psychiatrie en milieu pénitentiaire tant dans son fonctionnement institutionnel que dans la recherche théorique et pratique, ainsi que par le biais de l’enseignement et de la formation, de faire bénéficier toutes les personnes intéressées des expériences acquises. Elle est un lieu d’expression des professionnels exerçant une activité de soin auprès des personnes sous-main de justice. Elle les représente auprès des instances administratives et professionnelles.

La prison, quant à elle, concentre les inégalités, la maladie, la précarité et la pauvreté. Le nombre de personnes souffrant de troubles mentaux et en situation de handicap psychique ne cesse d’augmenter depuis la fin des années 90. C’est à cette époque que le législateur sous l’impulsion des recommandations européennes proposant « d’assurer à la population incarcérée une qualité et une continuité des soins équivalant à celles offertes à l’ensemble de la population » décide de transférer la prise en charge médicale des personnes détenues au ministère de la Santé et leur protection sociale à la caisse d’assurance maladie (loi du 18 janvier 1994).

La psychiatrie en milieu pénitentiaire contribue au respect des droits fondamentaux des individus et porte un enjeu de démocratie sanitaire.

Elle n’est pas un moyen d’adapter une personne à la condition carcérale et d’ainsi participer à un système qui cautionnerait l’incarcération de sujets souffrant de troubles psychiatriques.

Elle doit se réfléchir en perspective avec le système de soin général auquel elle appartient.

La prise en charge psychiatrique des personnes détenues s’est longtemps déclinée en 2 niveaux de soin :

  • – Un premier niveau de soin ambulatoire dans les unités sanitaires ou dans les Services Médico Psychologiques Régionaux (SMPR) où des équipes pluridisciplinaires des secteurs de psychiatrie interviennent.
  • – Un deuxième niveau de soin dans les « hôpitaux de jour » des SMPR sous la forme de soins renforcés en journée.

La Circulaire interministérielle DGOS/R4/PMJ2 n2011-105 du 18 mars 2011 relative à l’ouverture et au fonctionnement des Unités Hospitalières Spécialement Aménagées (UHSA) complète l’offre de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire par un troisième niveau de soin permettant l’hospitalisation en soins libres et en soins sous contrainte des patients incarcérés. Le secteur de psychiatrie générale continue par ailleurs à accueillir des patients en soins psychiatriques sous contrainte (SDRE « D398 »).

Actuellement, l’équilibre du soin psychiatrique en prison tend à se déplacer vers l’intra hospitalier, avec des enjeux particuliers liés à l’inter-régionalité des UHSA.

Cet écart au processus de soins du milieu libre doit nous interroger et L’ASPMP soutient une mise au travail de l’ensemble du parcours de soin psychiatrique du sujet incarcéré qui sur le plan national a pris la forme :

  • – D’une mission d’évaluation par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale de la justice (IGJ) sollicitée par la DGOS sur la première tranche des UHSA et l’implantation de la seconde fin 2018 et dont le rapport vient d’être tout juste rendu public (http://www.igas.gouv.fr/spip.php?article775) fin février après une longue attente et des demandes réitérées de l’ASPMP d’en prendre connaissance ;
  • – Plus récemment un état des lieux autour de l’évaluation des missions régionales des SMPR et des fonctionnements des hôpitaux de jour proposé par le Comité de pilotage de la psychiatrie avec une journée de travail réunissant les différents SMPR le 13 mars au ministère de la Santé.

Il s’agit de pouvoir appréhender les parcours de soins possibles des patients et l’articulation entre les différents niveaux de soins ; de réduire les inégalités des possibilités de soins psychiatriques entre les hommes et les femmes ; de mettre l’accent et d’innover sur le thème de la continuité des soins à la sortie de prison.

Difficile alors de faire l’impasse sur la complexité et la nécessité de permettre, quel que soient les dispositifs de soins proposés, que ceux-ci permettent aux personnes de se mouvoir d’un lieu à l’autre. Les modalités de soin doivent être faites de va-et-vient, de dedans et de dehors, d’intériorité et d’extériorité.

Luttons contre l’air du temps qui se veut pragmatique, obnubilé par la logique de l’utile et qui à l’instar de l’avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté proposerait plutôt des hôpitaux — prison pour régler la question. Et hop !

Le mouvement c’est la vie et l’immobilité la mort.  Continuons à œuvrer collectivement (soignants/soignés) pour que le soin en milieu pénitentiaire puisse continuer à soutenir des perspectives de liberté et de vie.

Pour continuer à penser l’exercice du soin psychique de façon dynamique, dans le contexte de l’enfermement carcéral, les 27e journées des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire qui se dérouleront à Cherbourg du lundi 6 avril au mercredi 8 avril 2020 auront pour thème : Psychiatrie enfermée, Psychiatrie obligée, mais Psychiatrie libérée ?

Le travail de ces journées devrait permettre de remplacer le point d’interrogation par un point d’exclamation et toutes les informations sur ces journées se trouvent sur le site de la FFP : https://fedepsychiatrie.fr/manifestation/27e-journee-des-secteurs-de-psychiatrie-au-milieu-penitentiaire/ ou sur le site support de la manifestation : www.fbs50.fr.

Dr Marc FEDELE

Dr Pascale GIRAVALLI

Vice-présidents de l’ASPMP

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Editorial Février 2020

API pour la FFP

L’A.P.I., Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile a été créé en 1984 d’une volonté de regrouper des praticiens partageant les mêmes pratiques et désirant mettre en commun leurs expériences.

La pertinence de « l’outil secteur » est aujourd’hui interrogée.

Si l’outil secteur est critiqué pour le caractère trop généraliste de l’accueil qui lui est supposé, on oublie que le socle qu’il constitue est une base tout à fait pertinente au déploiement de soins gradués et pluridisciplinaires, plus ou moins spécialisés en fonction des pathologies.

Le plus fâcheux serait de penser et de diffuser que l’organisation de la psychiatrie, aboutissement de la sectorisation, est un échec sur le simple constat qu’elle ne remplit pas actuellement ses missions. Proposer de changer radicalement d’organisation alors même que les manques de moyens ont été clairement identifiés serait aussi une erreur. Que les contours géographiques des secteurs puissent varier, s’adapter à l’évolution et aux besoins de la population, sans effet de déstructuration massive du maillage existant, est le propre d’une organisation vivante. La remise à plat du mode de financement de la pédopsychiatrie doit pouvoir être envisagée à une double condition : que celle-ci s’accompagne d’un effort budgétaire significatif et que la prise en compte de la complexité clinique soit au cœur des réflexions. Un système de « guichets » par filière, niant cette complexité et la nécessité d’un accueil généraliste, est à proscrire totalement.

Le « secteur » est avant tout une façon de penser le soin psychiatrique en termes d’accessibilité, de proximité et de continuité au service des enfants, de leurs parents et des lieux où ils sont accueillis, sur un territoire donné et en fonction des caractéristiques sociales de ce territoire. Il s’inscrit dans un maillage et une coordination avec des partenaires (PMI, éducation nationale, ASE…), les autres structures de soins du territoire (CMPP, CAMPS, SESSAD, IME…) et les associations de parents. 

Le développement des neurosciences participe indéniablement au progrès médical, mais doit pouvoir être intégré à la complexité de l’être humain, comme le démontrent les recherches en épigénétique confirmant l’importance de l’environnement. L’hyperspécialisation actuelle de notre discipline et l’organisation en filières de soin nous semblent difficilement conciliables avec la prise en compte de l’enfant dans sa globalité, les aléas de son développement et les particularités de son histoire familiale.

L’histoire du secteur doit être rappelée (circulaires de 1960, 1972 et 1974). Elle a permis la mise en place d’équipements institutionnels matériels et humains, une dynamique de réseau, un savoir-faire et une culture qui se sont progressivement enrichis d’apports théoriques différents. La créativité à l’œuvre dans les secteurs et tout le champ de la pédopsychiatrie doit continuer à tempérer la tendance à l’uniformisation, sous-tendue davantage par des questions comptables que par le progrès médical. 

À l’image de la médecine générale préservant l’unité somatique des patients qui bénéficient de soins de plus en plus spécialisés, le secteur psychiatrique est le garant d’un accueil généraliste des patients et de l’orientation, si nécessaire, vers des soins coordonnés de plus en plus spécialisés.

Christophe LIBERT, Président de l’API

Claire PUYBARET-BATAILLE, Secrétaire Générale

Sylvie BARRETEAU, Chargée de communication

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Editorial Janvier 2020

Dr Michel DAVID

Pédopsychiatre/psychiatre des Hôpitaux

Président de la FFP-CNPP

Que faire de 2020 ?

À moins de vivre reclus dans une laure, discrète par définition, laïque ou non, le tumulte du monde n’aura échappé à personne et notamment l’agitation qui secoue profondément notre pays. Et le trouble est d’autant plus grand qu’il concerne les formes a priori de notre sensibilité : l’espace et le temps.

L’espace ou nous nous mouvons, où nous exerçons notre droit constitutionnel de liberté d’aller et venir, si interpellé dans l’exercice des soins sans consentement en psychiatrie, a été, quand il semble se restreindre, une des sources du mouvement des gilets jaunes avec les taxes sur le pétrole, rendant plus couteux des déplacements indispensables. Il a été restreint aussi quand la réforme du statut de la SNCF a conduit aux grèves dans les transports ferroviaires en 2018, puis fin 2019. Il est aussi conseillé de restreindre notre périmètre de déplacement en renonçant aux voyages aériens. Toutefois, le parcours de cet espace à défaut d’être limité doit se faire plus lentement ; par exemple, pour un voyage transatlantique, préférer le voilier à l’avion.

Et voilà le temps interpellé tout en étant lié à l’espace. Il est vrai que les formes a priori de la sensibilité kantienne deviennent inséparables avec le concept de l’espace-temps des théories de la relativité, restreinte d’abord puis générale. L’autre trouble dû au temps est évidemment celui de la question de la retraite qui interpelle directement notre existence, son déroulement de la naissance à la mort, avec parfois un espoir d’immortalité. Ainsi de se voir appliquer une clause du grand-père, soit la faculté de bénéficier d’un « présent passé ». Il est dommage que personne n’ait demandé une clause de l’arrière-petit-fils qui consisterait pour les futures lointaines générations de pouvoir encore bénéficier de la clause du grand-père, repoussant aux calendes grecques des mesures obscures tout en se perdant dans les cycles de la vie et conjurant nos existentielles angoisses de mort.

Ces cycles de la vie interrogent avec acuité le monde la psychiatrie qui connait de multiples crises et tout particulièrement la pédopsychiatrie, ou psychiatrie infanto-juvénile ou encore psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, mais aussi du bébé. L’unité de l’Homme telle que la posait une des énigmes de la Sphinx à Œdipe (la créature qui marche sur quatre pieds le matin, sur deux le midi et sur trois au coucher du soleil) s’estompe. La psychiatrie est une discipline, au même titre que la médecine et la chirurgie, et non une spécialité. Toutefois, comme la médecine et la chirurgie, elle se décline en des spécificités d’exercice qui sont autant de spécialisations et demandant en partie une technicité propre, tout en partageant des principes généraux avec l’ensemble de la discipline. La pédopsychiatrie souffre de conflits complexes, est soumise à des réglementations internationales, au manque de moyens financiers, voire à l’impéritie politique. Ne se sentant pas soutenue, elle hésite à s’autonomiser de la psychiatrie dite des adultes. Nous savons tous pourtant que la division dessert plus qu’elle ne sert. 

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Aussi 2020 sera une année où nous devons travailler au renforcement de notre discipline, trop souvent dénigrée, sans que l’on en soit trop étonné. La psychiatrie n’est pas spontanément « sexy ». La maladie mentale fait peur et les représentations sociales à son sujet ne sont guère positives, et tout particulièrement telles qu’elles sont transmises par les médias et différentes autorités politiques ou de contrôle. Ce « psychiatrie bashing » est en contradiction avec une autre réalité, beaucoup plus positive, mais nécessairement discrète, et qui lui est paradoxalement et en partie injustement reprochée. En effet, la psychiatrie est plutôt plébiscitée par les usagers comme le montre l’augmentation des files actives des soins ambulatoires qui représentent près de 80 % des soins de la psychiatrie, sans que la psychiatrie ait attendu les injonctions politiques à prendre le plus rapidement possible ce fameux virage ambulatoire. Conséquence : pas de limitation de vitesse pour le prendre, mais parfois des embouteillages quand trop de monde sur la route. Et encore faudrait-il quantifier ces embouteillages. Il est souvent reproché à la psychiatrie des délais excessifs pour obtenir une consultation, et pourtant ils sont bien souvent, et notamment en ruralité, beaucoup plus courts que ceux obtenus auprès des médecins généralistes (et encore faut-il qu’ils acceptent de voir de nouveaux patients, étant eux aussi débordés) ou pire auprès des autres spécialistes somaticiens. Il faut espérer que la mission IGAS actuellement en cours sur les CMP pourra préciser ces données, bien que les résultats des missions IGAS se fassent parfois bien attendre comme ceux sur les unités d’hospitalisation spécialement aménagées pour les personnes détenues (UHSA), pourtant connues des ministères de la Santé et de la Justice depuis novembre 2018, mais non rendus publiques. 

En 2020 de nombreux travaux attendent la psychiatrie. Quelle sera l’impulsion donnée par le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie ? Quelle sera la nouvelle dynamique de la saison 2 du Comité de pilotage de la psychiatrie ? Qu’attendre des travaux sur le financement et les autorisations d’activité dont les conclusions et surtout les applications ou non-applications pourront avoir une influence considérable sur l’avenir de la psychiatrie, pour les usagers comme pour les professionnels. D’autant plus que des réformes des financements peuvent avoir des conséquences considérables comme celle de la TAA en 2009 à l’occasion de la redoutable loi HPST qui a totalement déstructuré les hôpitaux et notamment la place des médecins en aliénant leur indépendance, devenant liée dans l’exercice de responsabilité des services au bon vouloir des directeurs d’hôpitaux. Et la psychiatrie, qui ne s’est pas éloignée de la médecine contrairement à ce qui est parfois avancé (alors que l’on peut se poser la question si ce n’est pas plutôt la médecine qui n’aurait pas tendance à s’écarter de la psychiatrie), partage la crise des urgences et du système hospitalier en général. Comment ne pas s’émouvoir de l’intérim qui risque de ne plus être un dernier recours ? Contrairement à l’isolement et la contention qui le sont, les directions des hôpitaux sont obligées d’y recourir de plus en plus souvent. De nombreux psychiatres sont tentés de quitter l’hôpital pour une pratique libérale, amplifiant le phénomène de pénurie psychiatrique hospitalière, notamment dans les zones rurales. Ne faudrait-il pas une recommandation HAS sur l’intérim médical pour « normer » ce dernier recours ?… Il serait plaisant de voir les pouvoirs publics soumis aux contraintes qu’ils s’imposent aux professionnels de santé en déniant sans vergogne leur détresse.

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En 2020, la FFP doit réformer ses statuts pour deux raisons.

 La première est consécutive au décret du 9 janvier 2019 (https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2019/1/9/SSAH1808219D/jo/texte) qui a créé les Conseils nationaux professionnels des professions de santé. La FFP qui assurait cette fonction (FFP-CNPP) s’en trouve dégagée directement, laissant au CNPP la lourde tâche de gérer la redoutable question de l’usine à gaz que représente le développement professionnel continu (DPC) et d’avoir la main sur d’autres points listés dans le décret cité, mais la FFP reste néanmoins concernée par ces différents sujets puisqu’elle est une composante du CNPP.

La deuxième est de donner, pour les raisons exposées plus haut, plus de place lisible à la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.

Cette réforme de statuts est l’occasion de poursuivre la dynamique fédérale au service de la psychiatrie et de la santé mentale en bénéficiant de la richesse de ses 35 associations scientifiques et de ses 6 syndicats. L’éditorial mensuel confié depuis 2019 à tour de rôle aux membres de la FFP, et que vous pouvez retrouver sur notre site (https://fedepsychiatrie.fr/editoriaux/) contribue à cette dynamique, ainsi qu’en leur permettant de rendre lisibles leurs actions.

En 2020, la FFP va poursuivre ses travaux engagés et notamment la réponse aux nombreuses sollicitations de la HAS, la participation aux groupes de travail du ministère de la santé, sa réflexion sur la radicalisation, le travail collaboratif du comité permanent autisme et troubles du neurodéveloppement, l’organisation des 18e Journées de pédopsychiatrie du 16 au 18 mars 2020 sur le thème de la « Pédopsychiatrie intégrative » et des 3e Journées de psychiatrie adulte du 13 au 14 octobre consacrées au « Consentement » (https://fedepsychiatrie.fr/manifestation/18emes-journees-de-pedopsychiatrie-de-la-ffp/), la réponse aux demandes d’auditions des autorités de contrôle ou des parlementaires, le soutien des partenaires de la FFP et leurs manifestations (https://fedepsychiatrie.fr/manifestations/categorie/manifestations-des-partenaires/), la représentation de la psychiatrie française dans les instances européenne (EPA) ou mondiale (WPA), etc. Comme vous pouvez le constater, de nombreux renseignements se trouvent sur notre site rénové en 2019 et dont, il faut le reconnaître, nous sommes assez fiers !

Le travail qui nous attend pour 2020 est considérable. Je ne peux que nous souhaiter de fructueuses réalisations collectives pour nous puissions être satisfaits de ce que nous aurons fait de l’année 2020.

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2019

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Editorial Décembre 2019

Robert M. PALEM, président de l’Association pour la Fondation Henri EY (APFHEY) est le rédacteur du dernier éditorial 2019. L’ensemble des éditoriaux forme un récit cohérent. On y voit poindre l’inquiétude d’un éclatement, voire d’une disparition de la psychiatrie, mais plus des organisations que du métier, car comme le dit l’éditorialiste de cette fin d’année, être psychiatre, c’est rechercher l’unité.

Les chantiers sont nombreux devant nous. Et surtout pour défendre la mission thérapeutique de la psychiatrie, souvent mise à mal par les dérives sécuritaires qui pointent ici ou là dans une société pusillanime, comme l’illustre l’opposition de la profession au fichier Hospyweb. Qu’en aurait dit Henri EY, lui qui au congrès mondial de psychiatrie à Mexico en 1971 avait fait adopter la célèbre motion suivante toujours autant actuelle :

“L’Association mondiale de psychiatrie dénonce la malfaisance des campagnes de contestations antipsychiatriques d’inspiration politico-idéologique qui font jouer à la psychiatrie un rôle qui n’est pas le sien, celui d’être un instrument de la répression sociale. 

L’Association mondiale de psychiatrie, en affirmant que la psychiatrie est et ne peut être qu’une des principales branches de la médecine appliquée à la prophylaxie et au traitement des “maladies” mentales, recommande expressément à toutes les Sociétés qui la composent d’attirer l’attention de chacun de ses membres, celle de l’opinion publique et celle du Gouvernement de leur pays, sur le caractère essentiellement médical et l’usage exclusivement thérapeutique de l’action et des institutions psychiatriques. 

L’Association mondiale de psychiatrie condamne toute exploitation politique qui aurait été ou pourrait être faite des concepts, méthodes et institutions propres à l’exercice de la psychiatrie au service des seuls malades mentaux”.

Décembre étant propice aux cadeaux, je vous propose une idée pour vos proches : le livre récent de Robert M. PALEM : “Henri Ey. Médecin psychiatre et philosophe” aux Éditions Trabucaire, www.trabucaire.com. Les sous-titres des chapitres condensent tout ce que les psychiatres devraient être : Ey, le mobilisateur, l’iconoclaste, l’architecte, le médecin, le fédérateur, l’unificateur, le civilisateur, le libérateur, le philosophe, l’historien et donc le psychiatre du XXIe siècle…. Effectivement plein de chantiers et un cap : la recherche de l’unité à laquelle la FFP contribue activement.

Dr Michel DAVID

Pédopsychiatre/psychiatre

Président de la FFP

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“Psychiatres de toujours” ?

Dr Robert M. PALEM, Président de l’APFHEY

Qu’en est-il, dans ce monde chaotique, du “devenir humain” (pour parler comme G. Agamben) du psychiatre et de son patient ?

Un métier protéiforme, comme il l’a toujours été, dans ses apparences (profession, phénoménologie), toujours tenté ou poussé à reproduire les vieux clivages mortifères (Public/Privé, CHU/Secteur, Clinique/Neurosciences…) mais fidèle à un fonds commun, revendiqué à défaut d’être inébranlable : l’Éthique. Soit le ferment du vivre ensemble et de la vocation psychiatrique : comprendre la souffrance mentale, l’angoisse, la psychose pour soulager ou guérir ceux qui les portent ou en sont frappés. “Nous sommes faits pour connaître, reconnaître et guérir les psychoses” tonnait Henri Ey en 1972.

Et Ey encore : Être psychiatre, c’est rechercher l’unité sous la diversité des phénomènes de la pathologie mentale. “Faire de la psychiatrie, c’est se placer à ce point de vue”. 

Le regard porté sur le patient par les soignants a évolué lentement pour passer de l’objet de soins au sujet de droit, nous dit la HAS. Plus facile à dire qu’à faire ! Mais on n’est pas pour autant en droit de désespérer des progrès de la Médecine et du Droit. 

Sujet de droit, le psychotique l’est depuis le début (il l’a toujours été) nous disait J. CHAZAUD en 1997, critiquant le “Sujet de la folie” de G. Swain (1977). “À l’intérieur de la perte du sens, mais en considération pour ainsi dire de sa personnalité morale, Pinel a fait du malade mental non pas le sujet de sa folie, mais en même temps qu’un sujet d’observation, un sujet de droit”. 

Henri Ey n’est plus, mais il y a toujours des psychotiques (ils seraient même plus nombreux dans les rues, sous les ponts et dans les prisons que dans les Hôpitaux Psychiatriques), mais aussi, et aux mêmes endroits : des exilés, des migrants et des apatrides, des SDF (les “Exclus de J. MAISONDIEU), des mutilés psychiques et des nouveaux venus bien étranges et difficiles à classer : les “fous de Dieu”. Injure aux malades mentaux comme aux “croyants”, proteste notre collègue Claire Jacquelin. 

Mais qui peut donc croire encore à la “fin de l’histoire”, ni même à celle de la psychiatrie, avec tous ces chantiers ouverts devant nous ? 

Et Henri Ey, après le purgatoire habituel, quittant le statut de psychiatre d’hier pour celui de “psychiatre de toujours” comme l’avait bien pressenti et qualifié A. Tatossian en 1990, ne disait-il pas (en 1972) que “L’art du médecin se confond avec son éthique”. Encore faut-il en avoir une. 

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Editorial Novembre 2019

Pascal Boissel, président de l’Union Syndicale de la psychiatrie (https://www.uspsy.fr/), signe l’éditorial de novembre. Il réagit au rapport Wonner et exprime une profonde inquiétude sur l’avenir de la psychiatrie. Son message fait écho à celui de Daniel Marcelli pour la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du mois dernier.

Dans ces temps complexes et incertains où le doute instille tensions et malaises dans bien des domaines de notre société, où la psychiatrie peut être vilipendée tout en sachant la trouver « en dernier recours » et davantage pour des actions sécuritaires plus que thérapeutiques, tout en la sollicitant abondamment pour donner des avis comme le fait la Haute Autorité de santé, il est important de ne pas nous disperser et de faire entendre sa présence auprès des 2.2 millions de personnes qui s’adressent à elle.

Dr Michel DAVID

Psychiatre-pédopsychiatre
Président de la FFP

Martine Wonner, rapporteure LREM de la Mission parlementaire sur la psychiatrie a rendu sa copie le 18 septembre. Si elle a convoqué Lucien Bonnafé et le mouvement du « Printemps de la psychiatrie », elle a placé en même temps dans son discours le service public de santé sur le même plan que l’hospitalisation privée, en une concurrence malsaine et faussée. Le « grand virage » de l’ambulatoire qu’elle annonça ne saurait se faire selon elle qu’à effectifs constants ; soit une austérité de fer maintenue. Et rien ne fut dit sur ces alternatives à l’hospitalisation qui ont existé puis ont dépéri faute de personnels. Dans son discours, la discipline psychiatrique se ventile en une myriade d’« expertises » forcément spécialisées au détriment de toute conception globale et sociale du soin psychiatrique. Bref, au-delà d’une communication subtile, elle nous a semblé finalement dans la ligne de cette secrétaire d’État au handicap qui osa affirmer cette année sa volonté « de ne plus placer les enfants autistes devant un psychiatre ».

Selon nous, c’est une disparition possible de notre discipline qui se profile.

Or, ces derniers mois, face à la maltraitance institutionnelle et au management destructeur, des mouvements dans les services psychiatriques se sont succédé. Les soignants en lutte de l’hôpital du Rouvray firent même une grève de la faim en juin 2018 ; ce qu’ils ont obtenu alors de leur direction et de l’ARS fut renié par ces tutelles ; un an plus tard, la grève a repris. Osons dire en commentaire que pouvoir avoir confiance en la parole de son interlocuteur nous paraît une nécessité, surtout dans notre champ… C’est en lien avec ces équipes en lutte que l’USP a participé à l’appel « Printemps de la psychiatrie » qui a été lancé il y a quelques mois pour associer soignants, patients et familles, et les populations à l’élaboration commune d’un renouveau des soins psychiques, lequel est vraiment urgent.

Pascal Boissel, président de l’USP

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Editorial octobre 2019

Dr Michel DAVID

Pédopsychiatre/psychiatre des Hôpitaux

Président de la FFP-CNPP

L’éditorial de ce mois écrit par le Professeur Daniel Marcelli, Président de la Société Française de l’Enfant, de l’Adolescent et des Disciplines Associées (SFPEADA), survient dans un temps où la psychiatrie est certes dans une situation critique, mais aussi présentée à charge comme en perdition comme l’a exposé le rapport Fiat, Hammouche, Wonner. Pourtant en lisant attentivement ce dernier, il ne peut manquer d’apparaître au lecteur averti que les difficultés de la psychiatrie sont avant tout à attribuer à un manque de pilotage politico-administratif depuis des décennies.

Si toute la psychiatrie est en difficulté, la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent l’est encore plus. L’insuffisance numérique des universitaires pédopsychiatres et sa conséquence conduisent les internes à ne pas s’orienter vers la pédopsychiatrie par manque d’encadrement. Pour optimiser la formation des futurs pédopsychiatres, des mécanismes de répartition et de modulation du nombre d’internes entre les régions en fonction des demandes sont à trouver ainsi que l’instauration de règles d’alternance entre psychiatrie générale et psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, pour les commissions de coordinations locales et régionales des internes. 

Enfin, au sein du Comité de pilotage de la psychiatrie, relancé début septembre, il est nécessaire que la représentativité de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent soit assurée à partir des organisations professionnelles et savantes reconnues.

Avant de se lancer dans de grands projets d’amélioration de la psychiatrie, il conviendrait de s’atteler déjà à ces indispensables mesures pratiques et urgentes pour rassurer la profession et préparer un meilleur service rendu à la population.

Éditorial pour la FFP

Le nouveau président de la FFP demande au président de la SFPEADA de rédiger un éditorial destiné à son site internet afin que soit défendue, soutenue et encouragée la psychiatrie du bébé, de l’enfant et de l’adolescent dans un temps difficile où ne cessent de croitre les sollicitations les plus diverses en même temps que se poursuivent les mouvements de disqualifications les plus outranciers dont le dernier en date concerne les propos tenus par un représentant de l’actuel gouvernement (Mme S. Cluzel, secrétaire d’État aux personnes handicapées : on trouvera une réponse à ces propos sur le site de la SFPEADA) ! Président de cette société savante, je suis tenu à ce titre à une réserve certaine, mais j’avoue une lassitude : celle de devoir inlassablement répéter les mêmes propos ! Le lecteur désireux d’approfondir sa réflexion pourra utilement se rendre sur notre site et consulter les diverses rubriques qui lui donneront un aperçu assez significatif des problèmes et des enjeux actuels. J’irai à l’essentiel :

  • – Une démographie en grand danger avec une diminution gravissime du nombre de pédopsychiatres ayant accompli le cursus de formation (donc un nombre de plus en plus grand de postes vacants ou de professionnels exerçant cette discipline SANS le diplôme adéquat).
  • – Une formation des internes qui a encore été restreinte et un nombre de postes ciblés pédopsychiatrie en diminution (en contradiction absolue avec les propos de la ministre de la Santé).
  • – Dans les équipes de soin des moyens humains de plus en plus parcimonieux avec la quasi-disparition de certaines professions pourtant indispensables à une bonne prise en charge (les orthophonistes travaillant en public ou en associatif par exemple).
  • – Des restructurations permanentes et une charge administrative kafkaïenne (rien d’original à la pédopsychiatrie, mais fardeau supplémentaire).
  • – En exercice privé une absence de reconnaissance des particularités de notre discipline et de la longueur des consultations (absence de CS pédopsychiatrique) si bien que cet exercice privé est des plus aléatoires relevant de l’abnégation… 

Sur ce fond organisationnel déliquescent, notre discipline est prise en cisaille entre d’un côté des modèles théoriques se tournant vers une rhétorique neuro-développementale (c’est l’expression à la mode) où le cérébral prend allègrement le pas sur le développemental (l’essence de notre discipline) et de l’autre des demandes de plus en plus nombreuses et insistantes de familles où la qualité de l’écoute est une valeur non négociable. 

Aujourd’hui, malgré le soutien irremplaçable des familles de patients, le sentiment partagé par l’ensemble des professionnels travaillant dans le champ de la pédopsychiatrie est de souffrir d’un manque profond si ce n’est total de reconnaissance de notre travail et de notre discipline, y compris par la « psychiatrie générale » (non pas par nos collègues qui, individuellement, sont souvent compréhensifs — quoique parfois un peu condescendants — mais au plan institutionnel). Certainement avons-nous une part de responsabilité dans cette méconnaissance, mais aujourd’hui court dans nos discussions et dans nos cœurs un désir de plus en plus térébrant, celui de se séparer nettement de la psychiatrie dite adulte… En tant que président de la SFPEADA je me dois de faire l’écho de ce mouvement que je sens monter inéluctablement… 

Daniel Marcelli

Président de la SFPEADA

Juillet 2019

Numéro 6 | cliquer pour télécharger
Numéro 5 | cliquer pour télécharger

Editorial septembre 2019

Après l’éditorial de l’AFFEP cet été, celui de la rentrée est confié à Claude GERNEZ, président élu de la FFP pour la période 2021-2023.
Je profite de l’occasion pour remercier les auteurs des éditoriaux qui m’ont été envoyés et qui seront placés mensuellement sur le site en fonction de leur ordre d’arrivée.
Bonne rentrée à tous en espérant que quelques sourires pourront chasser les nombreux soupirs d’automne.
Dr. Michel David, Président de la FFP-CNPP

Soupirs d’Automne

Les mouvements de revendications des professionnels de la psychiatrie et de la santé mentale semblaient un peu écoutés ce printemps, bien relayés par les différents médias, et étayés par les associations de patients. Ces campagnes d’informations montraient l’urgence d’une situation reconnue par tous comme insupportable. La désignation du délégué ministériel allait aussi dans le sens d’un mouvement en faveur d’une reconnaissance d’un état de fait déplorable et portait l’idée d’une évolution positive de nos conditions de pratique, enfin !
Les difficultés des urgences hospitalières, bien aussi dramatiques, accaparent aujourd’hui l’attention des Français et il nous reste à reprendre le chemin des « feuilles de route » que nous devons accompagner, sans que les moyens mis en œuvre en personnels et financement paraissent à la hauteur des enjeux actuels ; sans que non plus nous puissions reconnaître les propositions présentées comme objets de nos réflexions théoriques et techniques.
La situation des représentations de la profession en ses différentes institutions se complique encore de par les demandes qui leur sont adressées pour donner des avis, des cautions peut-être même, concernant nos pratiques en regard des problématiques sociétales actuelles.
La HAS se situe dans ce registre, qui nous sollicite sans, à ce jour, donner les compensations pour le travail, bien réel, effectué dans ce cadre.
De même, Les ARS organisent des réunions aux échelons qui correspondent à ses prérogatives, dans le but d’optimiser l’organisation des soins de la pathologie mentale, en attendant les propositions des praticiens ; sans avancer de nouveaux moyens. Il se trouve que nombre d’entre nous participent à ces réunions, qui se tiennent sur un temps habituellement dédié aux consultations, et ils ne considèrent pas toujours que leurs options aient été prises en compte.
En pratique, il résulte de cette situation un morcellement des actions entreprises, chacun cherchant à répondre de sa place au plus urgent, sans pouvoir se référer à une concertation pourtant utile à l’ensemble de nos revendications et propositions.
La pédopsychiatrie se présente comme l’exemple d’une difficile situation à résoudre : les postes de chefs de clinique nouvellement créés vont-ils être choisis compte tenu du manque de praticiens dans ce domaine ? Cette interrogation se renforce de par les postes restés vacants au concours du PACES. La désertification des pédopsychiatres en pratique de ville complexifie encore le manque de possibilité de soin.
Les mêmes remarques peuvent s’écrire en ce qui concerne la gérontopsychiatrie où les besoins vont s’accroître, et les pratiques particulières comme la pathologie des patients incarcérés, et l’inflation des pathologies professionnelles.
Pourtant, nous pouvons compter sur le dynamisme de notre pratique, mais aussi de notre créativité pour élaborer des réponses à ces périls, même si, parfois, vient à l’esprit le travail de Sisyphe. Une des conditions nécessaires à cette évolution repose sur la capacité à élaborer des réponses concertées, par-delà les nécessaires divergences de pratiques et de théorisations.

Claude GERNEZ

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Editorial juillet 2019

L’éditorial du nouveau site de la FFP est ouvert aux associations et aux syndicats adhérents.
J’ai demandé à l’Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie (AFFEP) d’inaugurer cette nouvelle ligne éditoriale. L’AFFEP représente la nouvelle génération de psychiatres sur laquelle nous comptons toutes et tous pour prendre avec dynamisme la relève.
Je remercie, Audrey Fontaine, présidente de l’AFFEP, régulièrement présente aux réunions de bureau de la FFP d’avoir répondu rapidement, ainsi que Robin Juan, coordonnateur syndical de l’AFFEP, à ma demande.

Editorial FFP by AFFEP

L’Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie (AFFEP) fait partie des associations scientifiques membres de la Fédération Française de Psychiatrie depuis plusieurs années.

Nos principales missions sont d’informer et de porter la voix des internes de psychiatrie dans les discussions sur la formation en psychiatrie, et plus largement sur l’évolution de notre système de santé globale et de santé mentale particulièrement.

Les champs de la santé mentale et de la psychiatrie en France et dans le monde bénéficient d’une attention croissante.
Par exemple, les discussions de l’Assemblée Mondiale de la Santé, organisme décideur de l’OMS, n’incluaient quasiment aucune mention à la santé mentale. En 2019, pas un point de l’agenda n’a pu être évoqué sans qu’un état membre mentionne l’importance de la santé mentale.

En France, la nomination récente du Pr Frank Bellivier en tant que délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie auprès de Mme la ministre de la Santé et des Solidarités témoigne également de l’intérêt des politiques et du public à notre discipline.
Cependant les discussions ne suffisent pas, les idées ne doivent pas rester déconnectées de la réalité du terrain.
Aussi, il est essentiel que l’ensemble des acteurs de la profession se mobilisent de manière coordonnée pour s’assurer que les évolutions à venir de notre système de santé mentale répondent aux besoins des patients et des professionnels, et garantissent des soins de qualité.

Les psychiatres en formation se doivent d’être présents et force de propositions. Et nous nous réjouissions de pouvoir collaborer avec d’autres acteurs de terrain au sein de la FFP.

L’AFFEP a également à cœur de défendre la formation des internes et de rester motrice dans le débat notamment via des enquêtes nationales organisées chaque année. En 2019, il nous paraissait capital de questionner les internes sur leur vision et interactions avec les industriels de la santé. La question de l’indépendance et des liens d’intérêts surgit régulièrement dans l’actualité. Cependant peu de donnée existe sur le sujet, hormis le classement des facultés du Formindep. Faire un état des lieux reste une première étape pour pouvoir ensuite porter des positions audacieuses sur le sujet. Les résultats seront communiqués en fin d’année.

Pour conclure, l’AFFEP reste mobilisée et ouverte au dialogue.

Audrey Fontaine, présidente AFFEP
Robin Jouan, coordinateur syndical AFFEP

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Editorial Juin 2019

De l’appropriation de la psychiatrie pour traiter la radicalisation

Ce titre rappellera celui d’un livre remarquable de Georges Lantéri-Laura sur « Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale » et de celui d’un ses articles sur « L’appropriation psychiatrique des comportements suicidaires ». Cette référence m’est agréable à double titre. D’abord du fait de la pertinence des analyses du Pr Georges Lantéri-Laura ; ensuite, car il me permet de me remémorer la riche année d’internat où j’ai pu profiter de son enseignement dans son service et ensuite de manière continue en lisant et relisant ses nombreuses brillantes contributions, d’un style élégant aussi bien sur le fond que sur la forme que l’on ne retrouve plus dans la littérature psychiatrique contemporaine, plutôt aseptisée.
Si ce titre s’inspire dans sa forme des travaux de Georges Lantéri-Laura, il s’en démarque en partie. Dans les cas de perversions sexuelles et de conduites suicidaires, il s’agissait de l’OPA « amicale » de la médecine sur des champs cliniques ; en ce qui concerne la radicalisation, et plus spécifiquement la radicalisation islamique, il s’agit d’une OPA hostile des pouvoirs publics sur la psychiatrie.
Que ce soit dans les déclarations des responsables politiques de l’exécutif, dans les plans de prévention de la radicalisation, dans les textes règlementaires publiés, comme le décret « Hopsyweb », les mesures en cours de préparation par les ministères de l’Intérieur ou de la Santé, ou les tentatives de recrutement des présidents des commissions médicales d’établissement comme agents de renseignements pour les préfectures, la psychiatrie se trouverait particulièrement concernée au moins par le « traitement » de la radicalisation, au pire comme étant considérée comme un vivier de personnes radicalisées et potentiellement terroristes.
La FFP dans un travail de recherche engagé et non terminé sur le sujet, mais publié en état sur notre site, montre son engagement intellectuel et solidaire d’une préoccupation collective sur un sujet difficile et interrogeant le « vivre ensemble ». Faire valoir une lecture psychologique de l’engagement radicalisé est un art délicat, car peu compréhensible pour les profanes. Différencier maladies mentales, vulnérabilités psychologiques et engagement radical dans des causes et savoir communiquer sur ces dimensions « techniques » où s’exprime la complexité du psychisme humain n’est pas aisé. Expliquer ensuite ce qui relève ou non d’un soin est encore plus difficile.
Outre le travail de recherche, la FFP s’est engagée aussi en soutenant par une intervention volontaire la contestation du décret Hopsyweb auprès du Conseil d’État par le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, un des six syndicats membres de la FFP, refusant ainsi la stigmatisation des personnes hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie pouvant apparaître comme ayant un lien possible avec la radicalisation religieuse, voire le terrorisme.
La FFP espère que les pouvoirs publics entendront que la complexité d’un tel sujet exige des regards et des lectures pluridisciplinaires et exclut toute proposition simpliste qui sera de toute façon vouée à l’échec.
Je ne peux résister au plaisir de finir cet éditorial comme je l’ai commencé en citant Georges Lantéri-Laura et en mettant entre parenthèses les mots relatifs à la radicalisation que l’on peut substituer à ceux sur le suicide, sans je l’espère dénaturer l’esprit de son écrit. Notons d’ailleurs que ses considérations sur le suicide restent à mon sens très actuelles tout en pouvant surprendre dans un contexte ou l’appropriation psychiatrique des comportements suicidaires est acquise au risque d’éluder les problématiques sociétales ou intimes des personnes mettant en jeu leur vie.
Aussi mutatis mutandis : « La psychiatrie garde sa valeur pour traiter des suicides (de la radicalisation) en rapport avec des maladies mentales, mais elle deviendrait idéologie dérisoire à prétendre y ramener tous les suicides (radicalisés). (…) C’est pourquoi à partir d’une connaissance critique des conditions de production de quelque chose comme une prévention du suicide (de la radicalisation), le recours systématique à la psychiatrie fait problème : réduire le suicide (la radicalisation) à la psychiatrie ne constitue pas un acte de connaissance, mais l’une des justifications théoriques de la couverture de ces responsabilités de l’institution ; imposer l’examen psychiatrique à tous les suicidants (radicalisés) risque de procéder d’un motif identique, et aussi de faire obstacle à une résolution hors de la psychiatrie de ce qui conduisait à la tentative de suicide (la radicalisation) – dernier aspect qui concerne davantage le sujet que l’institution ».

Dr Michel DAVID
Président de la FFP-CNPP

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Editorial 20 avril 2019

La Fédération Française de Psychiatrie souhaite que la nomination du Professeur Franck Bellivier en tant que délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie contribue aux actions de soutien et de développement de la psychiatrie que madame la ministre de la Santé et des Solidarités veut promouvoir.

La psychiatrie, dans toutes ses composantes, publique et privée, et dans tous ses champs d’activité – prévention, soins, recherche, etc. – connaît de grandes difficultés et des insuffisances tout en étant victime de son succès. En effet, les demandes de soins ne cessent d’augmenter induisant l’encombrement souvent dénoncé des consultations. Les moyens n’ont pas suivi pour y répondre décemment. Cette adresse importante faite à la psychiatrie est étonnante à plus d’un titre. Quel sens peut-on donner aux souffrances psychiques qui conduisent à s’orienter vers la psychiatrie, souvent en lien avec un contexte social tendu ? Doit-on aussi considérer que l’image de la psychiatrie et de la santé mentale commence à s’extraire des représentations sociales négatives et stigmatisantes habituelles ?

Et pourtant, ce ne sont pas les médias, voire certains responsables politiques, qui contribuent à véhiculer une image positive de la psychiatrie. Ce recours croissant fait à la psychiatrie indiquerait que la population pose un regard plus lucide sur les prestations de la psychiatrie que ne l’est celui des pouvoirs publics ou des médias.

Il s’agit d’un triomphe paradoxal de la psychiatrie. Alors qu’elles sont négligées, la psychiatrie et la santé mentale cherchent en permanence une adaptation à la demande. Mais les efforts d’organisation, plutôt d’incessantes réorganisations, d’innovation trouvent leurs limites, comme le montrent les différents mouvements sociaux qui agitent sévèrement le secteur psychiatrique.

La FFP pourra évoquer son inquiétude auprès du Délégué ministériel qu’elle remercie pour son invitation. Mais elle exprimera aussi sa confiance dans les capacités de la profession à contribuer à l’amélioration de la discipline, et de toutes celles qui y sont associées, en poursuivant les travaux déjà engagés par le Comité de pilotage de la psychiatrie sur qui le Délégué ministériel pourra s’appuyer pour en soutenir et en développer l’action.

Dr Michel DAVID

Président de la FFP-CNPP

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Editorial 5 janvier 2019

Ce début d’année 2019 est pour la FFP-CNPP l’entame d’une communication
adaptée à nos nouveaux modes de vie et de travail. Notre nouveau site
internet souhaite en être l’illustration.
Nous espérons qu’il répondra aux attentes de tous et sera le canal d’une
communication efficace et conviviale.

Dr Jean- Jacques Bonamour
Le Président
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