ARGUMENT
« Je ne suis pas fou ! »… ni handicapé.
Voilà une protestation bien souvent entendue, de la bouche du patient ou portée par un proche, montrant combien il est difficile de se sentir atteint dans son propre sentiment d’intégrité mentale, et de porter le fardeau de ce qu’on désigne aujourd’hui comme “stigmatisation” : loin de n’être qu’un effet de rejet du corps social, cette notion est peut-être également le nom de cette difficulté profonde à soutenir la conscience d’une perturbation, sans qu’elle ne soit assortie d’une blessure narcissique inacceptable.
Si les patients rencontrent inévitablement cette problématique, les professionnels de santé et tout particulièrement les psychiatres sont touchés par la gêne à porter un diagnostic de maladie mentale ou à certifier un handicap, ces notions étant l’une comme l’autre aisément soupçonnées d’accabler le présent et de péjorer l’avenir du sujet concerné. L’inquiétude est forte dans les deux sens, celui d’une sous-estimation des troubles amenant une perte de chances dans les soins, comme celui d’une sur-désignation prompte à grever le pronostic.
Mais on sait également combien la reconnaissance officielle d’une affection et d’un handicap induit peut avoir d’importance dans l’investissement du soin et sa dynamique, quand bien même sa portée serait contestée au niveau du discours du patient.
Passant subrepticement du concept de maladie mentale à celui de trouble psychique, la science psychiatrique des adultes s’est d’une certaine manière autorisée à s’extraire progressivement des notions classiques, très ancrées dans une vision processuelle pessimiste, pour se remanier dans le sens d’une évolutivité certes peu prévisible, mais en tout cas ouverte (ce en quoi elle s’est rapprochée de la clinique pédopsychiatrique, le développement de l’enfant permettant que les choses soient chez lui moins fixées).
Et au-delà, le champ des possibles s’est sans doute un peu plus ouvert avec la notion de santé mentale ouvrant aux patients classiquement « en rémission » la perspective d’un rétablissement, dont il est cependant difficile aujourd’hui de quantifier l’impact : la pratique de psychiatrie publique reste très marquée par la durée et la lourdeur de certains troubles aux effets de handicap important.
Comment le psychiatre et les soignants en psychiatrie peuvent-ils s’appuyer sur ces notions de maladie mentale ou de handicap psychique, pour organiser l’alliance thérapeutique nécessaire ? Comment (faire) reconnaitre la maladie sans qu’elle fasse violence, mais que la prise en compte de cette maladie et du handicap induit nourrisse suffisamment l’espoir de “s’en sortir” ?
Quelles voies nouvelles aujourd’hui dans cette perspective ?